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et que c’était là l’unique influence que leurs maladroites manœuvres pouvaient exercer sur l’orientation de notre politique.

Quant au jugement que l’Allemagne portait sur notre état moral et social, sur notre littérature et nos arts, bien qu’elle crût en emprunter les élémens à quelques-uns de nos propres écrivains, à certaines de leurs œuvres, là encore elle trahissait son irrémédiable inaptitude à nous connaître. Alors que ses naïfs et malveillans compilateurs collationnaient les citations, extraits ou analyses, d’articles de journaux, de brochures, de romans, de pièces de théâtre, qui n’attestaient que notre étrange manie de nous dénigrer nous-mêmes, de nous faire pires que nous ne sommes, la vie et les mœurs de la France, le travail de la nation sur elle-même, les aspirations nouvelles, tout ce mouvement de la génération montante, et dont l’effet apparaît aujourd’hui, leur échappait. Ils ne voyaient chez nous que ce qui attire si facilement l’étranger, un étalage cosmopolite, le faux et décevant miroir d’une vie considérée comme parisienne, qui n’est pas la nôtre, et qui répond bien plutôt au grossier idéal des snobs de Berlin et de Vienne. Depuis lors, l’Allemagne a essayé de nous rendre un peu plus justice. Au lendemain de la bataille de la Marne, elle nous a découverts.

L’Allemagne eût pu avoir une connaissance moins inexacte de l’Angleterre, à laquelle la rattachaient certaines origines ethniques, le souvenir d’une ancienne alliance, des relations commerciales et financières parfois assez étroites, une commune admiration pour Shakspeare. Mais, et quoique, depuis 1870 jusqu’à la fin du règne de la reine Victoria, l’Angleterre, malgré son isolement, n’eût pas marqué d’éloignement pour la politique allemande, l’Allemagne n’a jamais bien compris le génie, les mœurs, les institutions britanniques, et, surtout, elle n’a pas vu la transformation qui s’opérait chez nos voisins d’outre-Manche. Elle s’en est tenue à la légende de l’Angleterre insulaire, conservatrice, égoïste, chez qui elle croyait remarquer des traces de ralentissement et de décadence. Elle pensait pouvoir égaler bientôt la puissance navale de sa rivale, qu’elle se promettait de déposséder ensuite de la suprématie si longtemps exercée sur toutes les mers, ainsi que de son immense empire colonial. Elle a essayé de hâter l’heure de cette dépossession par de décevantes négociations sur la limitation des