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armemens ou sur la neutralité. Elle s’efforçait aussi d’affaiblir l’Angleterre par toutes sortes d’intrigues intérieures, de divisions que ses agens suscitaient, soit dans les cercles politiques et financiers, soit dans la population industrielle et ouvrière. Elle se flattait d’y avoir réussi, d’avoir d’avance désarmé nos voisins, — et elle demeurait persuadée que jamais l’Angleterre ne dépasserait, dans l’entente cordiale avec la France et la Russie, les limites de l’action diplomatique. Elle était prête, dans la guerre qu’elle désirait et préparait, à faire provisoirement la part de l’Angleterre, dont elle escomptait l’abstention, et qu’elle se réservait ensuite, ses autres adversaires une fois vaincus, d’accabler de toute sa force.

Pour ce qui regarde la Russie, l’Allemagne se targuait, non seulement de la connaître, mais, et même en pleine paix, de la dominer. Les relations anciennes entre les deux Cours, l’origine et les affinités, germaniques d’une partie de la bureaucratie russe, les habitudes commerciales et industrielles, certaines traditions financières qui avaient survécu à l’alliance franco-russe, les influences d’Universités, de culture et de langue, lui donnaient l’illusion d’avoir et d’exercer sur le vaste Empire russe je ne sais quelle maîtrise. L’alliance franco-russe elle-même n’avait pas fait perdre à l’empereur Guillaume II l’espoir de conserver encore son action personnelle sur la Russie et sur le Tsar. Dans ses heures de fantaisie et de rêve, le Kaiser s’est même parfois bercé de l’idée que, par la Russie, il apaiserait l’inimitié française, comme, plus tard, dans sa dernière conversation avec sir E. Goschen, le chancelier de Bethmann-Hollweg prétendait qu’en cultivant l’amitié de l’Angleterre, l’Allemagne avait espéré aussi se rapprocher de la France. La vérité est que tout l’effort allemand s’appliquait à énerver, à alanguir la Triple Entente, à séparer en détail les Puissances amies, à intervenir dans les rapports des unes avec les autres, à susciter entre elles des causes ou occasions de divergence, et, chez chacune d’elles, des difficultés domestiques. L’Allemagne s’était attachée à capter, en Russie, à la Cour, dans le Gouvernement, dans l’armée et la marine, dans le haut commerce, l’industrie et la finance, dans la presse, diverses sources de pouvoir, de richesse et d’influence. En Russie, comme en Angleterre et en France, elle avait poussé très loin cette première campagne d’avant-guerre ; mais son