Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait aussi trop d’intérêt à ménager l’Angleterre pour qu’à cette date la Prusse osât franchir la frontière belge. L’Allemagne de Guillaume II et du général von Bernhardi n’avait plus de telles hésitations. Longtemps avant 1914, ce n’était plus en Europe un mystère que l’Allemagne, si les circonstances l’exigeaient, ne se laisserait nullement arrêter par la neutralité de la Belgique. Les plans de son état-major, le réseau de ses chemins de fer, étaient nettement dirigés vers le pays de Liège. Elle avait prémédité et arrêté l’invasion de la Belgique comme étant la voie qui lui était nécessaire pour atteindre et frapper vite la France. Ses préparatifs de mobilisation étaient faits dans ce sens et avec ce but. Tandis que la France, avec une loyauté impeccable, mobilisait sur l’Est, considérant la frontière du Nord et du Nord-Ouest comme hors de la zone des hostilités, l’Allemagne mobilisait sur la Belgique même. Lorsque, dans les derniers jours du mois de juillet 1914, la Grande-Bretagne, garante comme l’Allemagne et comme la France de la neutralité de la Belgique, demanda aux Cabinets de Berlin et de Paris de l’assurer de leurs intentions à l’égard de cette neutralité, la réponse de la France fut aussi immédiate que satisfaisante. L’Allemagne se récusa, alléguant que répondre serait découvrir ses plans. Elle les découvrait par là même et avouait, mais en même temps elle cherchait à gagner l’Angleterre par les éhontés marchandages de la dernière heure qu’a révélés le Livre bleu britannique, comme si la neutralité belge, garantie par cinq grandes Puissances, pouvait faire l’objet d’un marché entre deux d’entre elles. L’Allemagne, dès longtemps habituée à ne voir dans les traités et le droit que ce qui la sert, n’admit pas un instant que l’Angleterre pût faire de cette question de la neutralité belge un casus belli. La stupeur du chancelier et de M. de Jagow devant l’ultimatum anglais montre la profondeur et la sincérité du mépris dans lequel ils tenaient le respect des traités, des « chiffons de papier : » elle trahit aussi l’inconscience avec laquelle les ministres allemands avaient compté, non seulement sans les sentimens de droiture et d’honneur des gouvernemens belge et anglais, mais même sans le souci de légitime défense qui ne permettrait pas au gouvernement britannique de tolérer, de laisser s’accomplir impunément ce guet-apens contre le droit de l’Europe, contre la sécurité de la France, contre la sienne propre. La violation de la neutralité