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belge avait donc pour premier effet de ranger l’Angleterre à côté des Alliés contre l’Allemagne, et de disqualifier l’Allemagne elle-même, ennemie déloyale qui, pour atteindre son adversaire par un coup oblique, ne craignait pas d’attaquer traîtreusement la Puissance garantie par un traité portant sa signature.

Un autre effet que l’Allemagne, dans son aveuglement, n’avait pas prévu, c’est que cette violation du territoire belge, après l’avoir disqualifiée, allait l’affaiblir et révéler le défaut de sa cuirasse. La résistance de la Belgique, en retardant de deux ou trois semaines la ruée des armées allemandes contre la France, laissait aux armées françaises le temps d’achever leur concentration et de se reporter peu à peu sur la frontière Nord Nord-Ouest. Le gain que l’Allemagne avait prétendu s’assurer en frappant la France d’un coup rapide au cœur, avant que la mobilisation russe ne fût avancée, ce gain se trouvait compromis, et l’Allemagne risquait de ne pouvoir plus faire, en temps utile, les déplacemens de troupes, les mouvemens de navette entre les deux fronts de l’Ouest et de l’Est.

Ajoutez que le dépit, la fureur éprouvée par l’Allemagne à l’échec et au retard que lui infligeait la résistance belge, l’amenait à faire à la Belgique une guerre inexpiable, une guerre d’atrocités et de tortures, qui non seulement lui aliénait à jamais les populations ainsi sacrifiées et immolées, mais qui allait mettre l’armée allemande au ban de la civilisation.

Pour échapper à cette condamnation, à cette flétrissure, l’Allemagne essaierait d’abord de nier, puis de retourner l’accusation contre la victime elle-même. Elle n’a pas craint, en effet, de prétendre que c’était la population civile qui avait, par ses sévices, provoqué les représailles des troupes, les incendies et les massacres. Elle est allée plus loin, s’efforçant de découvrir dans les archives saisies à Bruxelles la preuve que c’était la Belgique elle-même qui la première avait manqué à ses devoirs de neutralité par des ententes préparées avec l’Angleterre, sinon même avec la France, et qu’elle était la seule responsable de la catastrophe qui avait fondu sur elle. Dans cet enchevêtrement de fautes et de crimes s’engendrant les uns les autres, l’Allemagne en venait à oublier ce qu’elle avait pourtant reconnu, et que c’était bien elle qui, délibérément, pour se tirer d’affaire, et parce que nécessité n’a pas de loi, avait, au mépris