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bloquer les côtes et certaines zones de mer à l’aide de ses sous-marins, par le torpillage des bâtimens de commerce et des grands paquebots, jeta un sanglant défi à l’ensemble du monde civilisé. L’Allemagne, au lieu de s’arrêter devant cette explosion d’horreur et de colère, sembla prendre plaisir à la braver. Les chefs de sa propagande, M. Dernburg en tête, l’ambassade elle-même, en annonçant les catastrophes qui attendaient les Américains assez obstinés pour continuer à prendre passage sur les steamers anglais, osaient les justifier comme des mesures de représailles contre le blocus des flottes alliées et contre le transport, par les divers bâtimens anglais, français ou autres, de matériel de guerre et de munitions destinées à l’ennemi. Lorsqu’un certain nombre de citoyens américains eurent péri dans ces exploits de sous-marins, lorsque le torpillage de la Lusitania eut anéanti plus de quinze cents existences humaines, le Gouvernement fédéral ne put manquer de s’émouvoir et de demander des explications au Gouvernement allemand. Ce qu’a été la longue négociation entre les Cabinets de Washington et de Berlin, comment à l’émotion de tout un peuple l’Allemagne n’a d’abord répondu que par des arguties dilatoires, puis par la prétention d’imposer un nouveau code de guerre maritime, puis, après les ripostes nécessaires et péremptoires des États-Unis, par le silence, puis par le nouveau torpillage de l’Arabie, le monde le sait, le monde en est témoin. C’est à la dernière heure, lorsque la rupture paraît imminente, lorsque d’autre part le Gouvernement allemand a dû s’avouer à lui-même la faillite de la piraterie sous-marine, et qu’il pressent l’avantage qu’il a à ne pas s’aliéner définitivement les États-Unis, la grande Puissance dont l’influence morale peut, au jour de la paix, être si précieuse, c’est alors seulement que l’Allemagne s’incline, se soumet, paraît venir à résipiscence. Elle s’est dit que tant d’atrocités commises, tant d’autres en voie d’exécution ou préméditées sur le sol même de l’Amérique contre la liberté du travail, de l’industrie, des transactions, des communications, tant d’or dépensé pour la corruption, l’intrigue, l’embauchage de criminels, finiraient par crier vengeance et se retourner contre elle. C’est la première fois que, sans comprendre encore son ignominie et les motifs de la réprobation universelle qui l’atteint, elle se demande si sa doctrine d’orgueil, de mépris et de haine ne l’expose pas à un terrible danger. Ce