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encore in extremis, selon les procédés qui lui sont familiers, par la corruption ou la menace, de provoquer à Rome une crise ministérielle et parlementaire dont le seul effet fut de donner à la libération, à l’affranchissement de l’Italie, par la protestation indignée de la nation comme du Parlement, le caractère d’une sorte de plébiscite, la sanction d’un acte de justice solennellement accompli par tout un peuple. Le prince de Bülow a pu entendre, de sa terrasse de la villa Malta, les cris de la foule acclamant sur la Piazza del Popolo, outre le Roi, les deux ministres, Salandra et Sonnino, qui avaient déjoué l’intrigue et vengé la conscience nationale. Il a dû ainsi constater et vérifier une fois de plus ce qu’il en coûte d’ignorer ou de mépriser dans ses calculs l’âme d’un peuple.

L’Allemagne avait une autre et décisive expérience à faire encore en ce genre. Elle n’y a pas échappé, et cette dernière leçon lui est venue des Etats-Unis. Elle avait là cependant, au début, par la nombreuse population allemande ou germano-américaine établie dans les divers Etats, par ses immenses relations d’affaires, par une partie de la presse, par sa propagande enfin qui fut d’une activité, d’une hardiesse, d’une prodigalité sans pareilles, une atmosphère favorable. Dans les premières semaines de la guerre, la violation même de la neutralité belge ou les atrocités commises en Belgique n’eurent pas tout de suite le retentissement et l’effet qu’elles devaient avoir plus tard. La presse allemande dissimulait, atténuait, expliquait. Ce n’est que quand des Américains notoires, hommes d’Etat, diplomates, membres du Congrès, banquiers, journalistes, eurent fait eux-mêmes leurs enquêtes, que peu à peu la vérité se fit jour, pénétra et commença à inspirer l’indignation et l’horreur. Quelques esprits énergiques et vigoureux, comme l’ex-président Roosevelt, n’avaient pas eu besoin d’attendre des informations plus complètes pour flétrir, dès le premier jour, l’attentat contre le droit des gens et les traités, et pour regretter que le Gouvernement fédéral n’eût pas aussitôt élevé sa protestation. Le mouvement toutefois ne s’étendit et ne se généralisa que quand l’incendie de Louvain, le bombardement de la cathédrale de Reims, les massacres de femmes, d’enfans, de vieillards, de prêtres furent connus dans leurs affreux détails, et surtout quand l’Allemagne, par les « raids » de ses Zeppelin, par les exploits de ses submersibles, par la prétention monstrueuse de