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fleurs, quelle image plus saisissante exprimerait le don allègrement consenti, le don complet offert à la Patrie ?


C’était le matin où l’on connut l’avance décisive en Champagne. Déjà les Suisses avaient annoncé la victoire à leurs hôtes d’une nuit.

Au signal donné par les clairons, les soldats les plus ingambes descendirent. Et la foule qui avait envahi les quais s’empressait à les aider.

Bientôt ils entourèrent la longue table servie étincelante dans le soleil matinal qui exaltait l’écarlate des drapeaux et des uniformes. Et le sourire de tous ces yeux, la joie puérile de ces propos entre-croisés, cette impression de liberté retrouvée, nous laissaient oublier une minute toutes les manches vides, les pantalons flottans, les jambes raccourcies, les têtes bandées, les faces défigurées, gonflées, tordues, trouées... Tous ces bruits de béquilles résonnant sur le trottoir...

— Ah ! comme on est content d’être en France !

Eux aussi, ils oubliaient. Leurs souffrances passées s’effaçaient, telles des images lointaines. Déjà, ils étaient prêts à reconstruire leur bonheur. Un rien les amusait, les émouvait, comme des enfans.

— Et moi, madame ! donnez-moi aussi un peu de Champagne ! Il y a si longtemps qu’on n’en a pas goûté !

— Et nous en rapportons, des cadeaux !

— Si l’on est heureux, aujourd’hui !...

Ils riaient. Ils plaisantaient. Et cependant nous devinions à travers leurs sourires une sorte de recueillement. Beaucoup riaient qui s’efforçaient de ne pas pleurer.

Accent du Nord, accent du Midi, accent des Ardennes, accent breton, accent de Paris, j’écoutais tous ces accens se répondre et se rejoindre comme les notes différentes d’un accord.

Soudain un bruit de moteur fit tressaillir les soldats : trois aéroplanes décrivaient des cercles au-dessus de la gare et jetaient des fleurs.

Ah ! ce salut qui descendait sur eux de ce beau ciel ! Pour eux tout cela... Pour eux, les grands oiseaux planaient dans la lumière. Pour eux, tous ces gens exaltés qui riaient et pleuraient à la fois...