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Je regardais une dernière fois leurs visages, ces visages qui allaient contempler la mort, et qui se penchaient vers nous si sourians, les visages de ces héros qui avaient trouvé une si charmante façon de nous dire adieu.

Six heures plus tard, l’autre convoi, celui des grands blessés, devait passer. D’autres soldats souriraient aussi en agitant leurs képis... Le même entrain. La même vivacité joyeuse. Seulement, les uns vont au-devant du sacrifice. Les autres l’ont, en partie, derrière eux. Les uns n’ont pas souffert encore. Tandis que ceux-là... Cependant leurs sourires se ressemblent et se rejoignent : sourire de ceux qui, étant prêts à tout, ayant tout accepté, savent accueillir les joies minimes tout le long du chemin.


Un matin d’hiver, il me fut permis d’achever le voyage avec les grands blessés.

Il y avait, dans les wagons des mutilés les plus valides, un joyeux remue-ménage :

Encore une heure... Et l’on arrive !

Les soldats faisaient toilette, défripaient leur capote, coiffaient leur képi, épinglaient à leur uniforme de nouveaux bouquets, rassemblaient les fleurs, les musettes, les sacs gonflés de menus présens.

Les infirmières habillent les blessés couchés. Celui-ci n’a plus de mains... Celui-là est si faible qu’il faut le soutenir, tandis qu’on ajuste son dolman. Cet autre est à demi paralysé. Et rien n’est pathétique comme cette toilette de tous ces hommes dont la vigueur est perdue, devenus plus faibles et plus dépendans que des tout petits.

J’aide à se vêtir un tuberculeux amputé de la jambe et du bras, désarticulé à l’épaule, au visage énergique et amaigri, que sa barbe longue, et surtout la maladie vieillissent prématurément. Tout à l’heure, il a parlé de sa femme et de ses trois enfans qu’il va retrouver. Il sourit. Il a le courage de sourire, tout en donnant des indications à demi-voix : le pantalon rouge dont une jambe est repliée, épinglée, le tricot, le gilet, et puis la bottine unique que je lace, agenouillée, et les doigts tremblant un peu. Et ce geste me rend plus sensible le calvaire qui l’attend tout le reste de sa vie. Ah ! la souffrance qu’il y aura dans son