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branchages lui font bordure. Un peu en avant sont creusés les abris. La ligne de leurs toits en pente dessine sur la neige une série de petites vagues blanches, à peine discernables. Mais, sur le devant, on aperçoit la porte, précédée de trois marches en profondeur, et, à côté, une étroite fenêtre à un seul battant. De chacune des vagues blanches sort un tuyau d’où s’échappe un mince filet de fumée bleue... Au centre de la place, sur deux rangs, s’alignent les canons et les caissons, dissimulés sous des branches de sapins. Et cela forme trois allées au milieu desquelles toute la vie du camp se concentre...

Et quelle vie : active, mouvementée, pittoresque !... La neige a cessé de tomber ; le temps est froid et clair. Le sol est dur, et l’on foule avec plaisir la neige restée molle, qui est si douce et chaude sous les pas.

C’est l’heure des occupations particulières ; tout le monde est dehors. Il y a de tout ici : des artilleurs en longue capote brune, des cavaliers, reconnaissables à leur tunique courte, en peau de mouton, ornée pour les officiers d’un passe-poil à frisons courts ; des Cosaques d’Orenbourg, coiffés de papaks à longs poils de chèvre, qui leur donnent un air farouche, des fantassins, dont quelques-uns sont chaussés de ces grandes bottes de feutre beige ou blanc, à semelles et empeignées de cuir si propres à affronter les neiges profondes.

Sur la lisière du petit bois, à droite, deux soldats creusent un nouvel abri ; la terre remuée fait autour d’eux une belle tache jaune. Un autre prépare les rondins de la toiture et s’escrime après une branche de sapin... Entre les arbres, des chevaux errent en liberté ou se roulent avec délices dans la neige fraîchement tombée.

Çà et là sont allumés des feux, et la fumée des cuisines de campagne s’élève entre les allées formées par les canons. En m’y rendant, j’ai failli trébucher contre une marmite enfoncée sous terre, et dont le couvercle est à ras du sol. Un four est creusé dessous, auquel on accède par deux marches. De gros morceaux de braise s’y consument avec lenteur. De temps à autre, un soldat-cuisinier (un cuistot, comme on dit chez nous) vient jeter son coup d’œil à la marmite d’où s’échappe une alléchante odeur. J’interroge l’un d’eux, devant une des cuisines de campagne où l’on prépare le borchtch, la soupe préférée du soldat russe. Tout en remuant le mélange de choux, de betteraves,