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de tomates et de viande, il m’apprend que « le point » se ravitaille lui-même, qu’un poste de télégraphie sans fil y est installé dont il me montre, là-bas, la tente signalée par son drapeau bleu zigzagué d’un rouge éclair, et, enfin, que l’on forme ici un corps de cavalerie qui partira bientôt pour une destination inconnue. »

Ainsi se confirment une fois encore les bruits d’une probable offensive de nos Alliés sur le front extrême du Sud.

Près de la forge, un soldat en tablier de cuir est occupé à ferrer un cheval. Je m’arrête... Aussitôt, c’est un attroupement. — Les soldats des abris voisins ont aperçu mon appareil et viennent me prier de les photographier. J’ai toutes les peines du monde à obtenir d’eux qu’ils ne cachent pas complètement la forge, le cheval, le soldat au tablier de cuir... Le cliché pris, un des hommes court aux écuries, en ramène la plus belle bête et un cavalier s’offre à la monter. Il faut voir avec quel soin il ajuste sa tunique, assujettit son ceinturon, donne à son papak une allure martiale ! Le cheval, jeune, s’impatiente, hennit, gratte fébrilement le sol... Enfin, le cavalier a passé les pieds dans les étriers : un déclic ; c’est fait !... Mais il me reste un regret. Pour un soldat du front mon cavalier était vraiment trop beau dans sa tunique neuve !...


III. — LE COIN DES TRANSPORTS

On nous a garés à deux verstes du bivouac, juste en face d’un camp de transports. Entre la ligne de chemin de fer et la forêt, dans une longue et étroite clairière, une centaine de télègues sont arrêtées. Les hommes qui les conduisent ou les gardent, des moujiks pour la plupart, reproduisent ces mêmes visages et ces mêmes costumes que j’ai déjà vus si souvent : vêtemens sombres où le marron domine, à peine soulignés par une note verte ou rouge, bonnets à longs poils gris, marron, noirs ou blancs, visages aux barbes hirsutes... Assurément, le front français avec ses Hindous, ses Ecossais, ses tirailleurs sénégalais, ses Marocains, doit présenter, en certains endroits, un spectacle étrangement pittoresque, mais je me demande si, autant que sur le front russe, l’imagination s’y reporte à des époques si anciennes qu’on renonce parfois à leur assigner une date... Les hordes qui suivaient les armées de Gengis-khan