Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/440

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suivre, et il est non moins évident qu’elle ne doit pas le retenir. Il ne faut pas qu’un jour, il ait à lui dire : « Ah ! que vous me gênez ! » Elle doit se sacrifier à sa gloire. Elle accomplit le sacrifice gentiment, sans phrases qu’au surplus elle ne sait pas faire, et en essuyant tout juste une larme à la dérobée. Ce n’est pas une Hermione ni une Roxane, encore qu’elle soit d’Uzès. C’est une Bérénice, une petite Bérénice de province. Quelle reconnaissance ne lui devons-nous pas s’il est vrai que du souvenir qu’elle avait laissé à son jeune amant soit née l’autre Bérénice ? Et qui pourra jamais nous prouver le contraire ? C’est une grande force pour déjouer les entreprises des érudits, de n’avoir jamais existé.

La Comédie-Française a mis sa coquetterie à monter avec goût cette jolie pièce. Le rôle de Mariette est très agréablement tenu par Mlle Bovy. M. Le Roy est un Jean Racine un peu avantageux, comme il sied à un poète de vingt ans. M. Sylvain, dans le rôle, du chanoine Sconin, obligé de flétrir les choses et les gens de théâtre, s’acquitte de ce devoir avec une abnégation méritoire chez le doyen de la plus illustre Compagnie de comédiens qui soit au monde.


La meilleure manière d’honorer les poètes, c’est évidemment de jouer leurs œuvres et de les bien jouer, d’en renouveler sans cesse l’interprétation et de la maintenir au niveau le plus élevé. Chaque fois qu’on fait quelque effort pour présenter dignement au public nos chefs-d’œuvre classiques, le succès est assuré. J’en ai eu une nouvelle preuve, après combien d’autres ! en allant entendre à la Comédie-Française Andromaque, pour les débuts de M. de Max. La pièce est jouée par tous les chefs d’emploi. Andromaque, c’est Mme Bartet dont on sait que ce rôle de tendresse, de sensibilité contenue et de piété douloureuse a été l’un des plus beaux triomphes de sa carrière. Hermione, c’est Mme Segond-Weber qui, surtout dans la seconde partie du rôle, se montre admirable tragédienne. M. Paul Mounet est un Pyrrhus plus brutal que galant et dont on ne s’étonne pas trop qu’il ait commis toutes les atrocités qui le rendent éternellement odieux à la veuve désolée d’Hector. Quant à M. de Max, il a dessiné d’Oreste une silhouette des plus intéressantes et j’y reviendrai. Cela fait un remarquable ensemble. La pièce reprend les couleurs de la vie. Aussi, il fallait voir comme toute la salle était suspendue aux lèvres des acteurs, frémissante, haletante d’émotion ! Cet art est si profondément humain ! La souffrance qu’il exprime est si vraie ! C’est