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la fatalité et qui répand autour de lui la contagion du malheur :


Excuse un malheureux qui perd tout ce qu’il aime,
Que tout le monde hait et qui se hait lui-même.


Il est le révolté qui s’insurge contre les lois humaines et divines :


Mon innocence enfin commence à me peser.
Je ne sais de tout temps quelle injuste puissance
Laisse le crime en paix et poursuit l’innocence.
De quelque part sur moi que je tourne les yeux,
Je ne vois que malheurs qui condamnent les Dieux.


Le jeune premier fatal et le héros byronien n’ont rien inventé. À vrai dire, dans la connaissance du cœur humain, pour inventer quelque chose, c’était s’y prendre trop tard que de venir après nos classiques.

M. de Max, récemment engagé à la Comédie-Française, a pris possession du rôle d’Oreste. Il y a été tout à fait remarquable. Certes, il faut regretter qu’il n’ait pas réussi à se débarrasser entièrement d’un fâcheux accent. Mais il n’a pas tenu à lui et il faut le prendre tel qu’il est. Il a de très beaux dons. La voix est bien timbrée, l’attitude, le geste sont naturellement tragiques. Ces moyens sont mis au service d’un sens de l’art à la fois très sincère et très raffiné. M. de Max est un artiste. Et il travaille avec une belle conscience. Son jeu vaut par la composition. Il a montré une très pénétrante intelligence du rôle, étudié avec un soin scrupuleux, fouillé dans tous ses détails, pénétré dans toutes ses nuances ; peut-être même en a-t-il à l’excès souligné toutes les intentions, comme s’il avait voulu bien nous prouver que rien ne lui en avait échappé. Félicitons-le encore de s’être très heureusement assagi. Il a compris qu’en passant du drame à la tragédie et des théâtres de genre à la première scène française, il convenait de modérer ses effets, de discipliner sa fougue. Ce travail a été notamment très visible dans la dernière scène, celle des « fureurs » tenue dans une note très juste. C’est un début qui fait grand honneur à M. de Max. Nous aurons plaisir à le suivre dans ses prochaines incarnations et nous espérons de lui beaucoup, pour rendre à plusieurs des personnages de notre tragédie, un peu effacés dans de récentes interprétations, le relief et la couleur.


On peut distinguer dans l’œuvre, souvent puissante et profonde, de M. François de Curel, deux sortes de pièces. Les unes sont des pièces