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que tout de suite on devine quel sera le terme d’arrivée. Les moins avertis prédisent que la figurante évincera la titulaire. Les moins perspicaces ont compris que, sous ses airs de froideur, Françoise est une amoureuse. Nous n’avons aucune surprise à attendre. Mais apparemment c’est un genre d’intérêt que l’auteur a dédaigné : il n’a voulu que peindre des caractères.

Ce ne sont pas de beaux caractères. Laissons de côté Henri de Renneval : ballotté entre deux femmes, trompant l’une, abusant l’autre, mentant à toutes les deux, il fait triste figure. M. de Monnevllle, le mari d’Hélène, appartient à une catégorie de maris trompés, pour lesquels la morale de théâtre professe une sorte d’admiration tout à fait singulière. Vieillard qui a commis la faute d’épouser une jeune fille, il a, le soir même des noces, trouvé chez la nouvelle mariée une répugnance devant laquelle il s’est fait un devoir de ne pas insister. Depuis lors, il s’est réduit au rôle de père vis-à-vis de Mme de Monneville ; au courant de sa liaison, dont il souffre et qu’il se borne à inquiéter par des taquineries, il favorise le projet d’union entre Françoise et Renneval : c’est sa vengeance. Ce mari philosophe, qui tolère sous son toit l’adultère, et surveille l’alcôve de sa nièce, ne le trouvez-vous pas fort déplaisant ? Hélène nous est présentée, et très justement, comme un personnage antipathique et digne d’être châtié. Fille pauvre, elle aussi, quand elle a épousé M. de Monneville, déjà membre de l’Institut, elle savait à quoi elle s’engageait : elle avait fait un marché, elle devait en exécuter les clauses. Quant à cet autre marché qu’elle propose à Françoise, c’est, à n’en pas douter, une infamie. Voilà une méchante femme. C’est pourtant la seule à qui nous serions tentés de nous intéresser, car elle est malheureuse, tout le monde s’acharne à la faire souffrir, et le spectacle de la souffrance nous laisse rarement indifférens. Quant à Françoise, la figurante, pour qui il semble bien qu’on nous convie à prendre parti, il n’y a qu’un mot qui serve : elle est odieuse. Pourquoi tombe-t-elle soudain follement amoureuse de ce pleutre de Renneval ? On ne m’empêchera jamais de croire qu’elle a flairé l’intrigue de sa tante et tout de suite rêvé de lui souffler son amant. Les pires moyens lui sont bons et elle les trouve tout de suite à sa portée : elle vole les lettres, comme si elle n’avait fait autre chose de sa vie. Elle joue la comédie avec une sûreté de dissimulation et une profondeur d’hypocrisie qui confondent. Elle accepte, sans une protestation, l’humiliant marché qu’on lui impose ; elle promet tout ce qu’on veut et donne abondamment sa parole : je sais bien qu’elle a la