Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’opéra, pour nous « frapper au cœur. » À ce propos, on peut remarquer, et regretter aussi, que, dans la musique dramatique française, pas une œuvre ne possède ce caractère, cette dignité purement nationale, qui fait de la Vie pour le Tzar, en Russie, l’opéra des opéras. La Muette, n’est-ce pas, ne saurait prétendre à pareil honneur, et son « Amour sacré de la patrie » ne prévaudra jamais contre celui de la Marseillaise. Auber, le premier, ne s’y est pas trompé. Un jour que je ne sais quel ministre lui rappelait aimablement la part glorieuse que le duo célèbre avait prise à la révolution de Juillet : « Votre Excellence me flatte, « répondit le malin vieillard. « On exagère beaucoup. Soyez sûr que si l’Opéra, ce jour-là, avait joué Blaise et Babet, les choses auraient tourné de même. »

Raisons internationales et nationales, toutes ces raisons actuelles de reprendre le second acte de Guillaume Tell, encore une fois, sont bonnes. La raison musicale n’en est pas mauvaise non plus, et celle-là pourrait bien être éternelle. On affirme que plusieurs de nos musiciens s’en seraient dernièrement avisés. Un chef d’orchestre tel que M. Camille Chevillard n’a pas caché son admiration pour des beautés auxquelles on aurait pu le croire moins sensible. Elles nous trouvent, nous-même, plus que jamais fidèle, et nous saisissons volontiers l’occasion de les repasser avec vous.

Il y a plus de choses dans ce second acte, que dans toute la philosophie, et la métaphysique, et l’esthétique des pédans qui se piqueraient encore de le dédaigner. Deux sentimens le remplissent et se le partagent : l’amour de la nature et l’amour de la patrie. Si le second nous touche aujourd’hui plus que jamais, le premier ne saurait nous laisser indifférens. La nature ! Il y a si longtemps que nous vivons séparés et comme exilés d’elle, de ses formes, de ses spectacles, de ses enchantemens ! Dans le péril, dans le deuil des êtres, les choses ne nous sont plus rien. Quand nous redeviendront-elles amies et bienfaisantes, hélas ! peut-être seulement consolatrices ! Quand serons-nous de nouveau charmés, émus par la beauté des cieux et des eaux, des monts et des bois ! Jouissons, en attendant, ne fût-ce qu’une heure, de leur image sonore et ne séparons pas l’un de l’autre les deux élémens que vous savez : l’état d’âme et le paysage, qu’une musique deux fois expressive, admirable deux fois, a réunis et fondus.

Dès le début de ce second acte de Guillaume Tell, que nous allons relire ensemble, le petit chœur : « Voici la nuit » forme un paysage comparable aux plus purs chefs-d’œuvre, en ce genre, de tous les