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encore, le trio bientôt s’engage. L’ordonnance en est classique, et, de loin, comparable à celle d’une sonate ou d’une symphonie : allegro, andante, et finale. Il s’agit, on le sait, pour Guillaume et Walther, d’arracher Arnold à son amour en lui révélant le meurtre de son père, et de l’entraîner, avec eux, à la défense, à la délivrance de la patrie. La première partie n’est, en quelque sorte, que de préparations et de ménagemens, traitée avec gravité, mais avec résolution, sur un ton viril et sans faiblesse. Dans les propos échangés d’abord entre les deux messagers et l’ami qu’ils viennent instruire, la diversité des sentimens se concilie parfaitement avec l’analogie, sinon l’identité des formes sonores. Il n’est pas jusqu’au rythme saccadé, pointé, que la première réponse d’Arnold n’emprunte à la première interpellation de Guillaume, en y ajoutant, il est vrai, par la qualité seule et le timbre de la voix de ténor, un éclat, une flamme de jeunesse, d’insouciance heureuse, que ne comporte naturellement ni la voix plus grave de Guillaume, ni son caractère général, ni surtout sa présente et cruelle mission.

Walther prend la parole à son tour. Sa voix, plus basse que celle de Guillaume, donne à la phrase, par lui reprise, une solennité nouvelle, un sens encore plus direct et plus menaçant. Il porte enfin le coup décisif. Tout le monde en connaît, en admire l’effet, ou les effets.


Ses jours qu’ils ont osé proscrire,
Je ne les ai pas défendus.


On sait quel rang occupe et gardera cette plainte filiale dans la musique de théâtre, dans ce qu’on pourrait nommer les annales lyriques de la douleur. Cantilène toute mélodique, purement vocale, qui songerait, tandis qu’elle chante, à regretter, à remarquer seulement l’insignifiance de l’orchestre qui l’accompagne et qui semble, lui-même, l’écouter, l’admirer, presque silencieux ! Farà da se. Il y a des cas où, comme l’Italie sa mère, la mélodie italienne agit seule et suffit à tout. Elle suffit ici à toutes les expressions, à tous les modes, à toutes les voix, à tous les cris du désespoir. Comme l’orchestre, on dirait qu’ils l’écoutent eux-mêmes, les deux messagers de malheur et de salut qui viennent d’en provoquer l’éclat. Ils se concertent tout bas, suivant avec respect, avec pitié, la crise où se débat une âme qu’ils ont voulu changer et reconquérir. On écrirait des pages sur cette page, sur cette phrase unique, d’une courbe si vaste et si haute, tantôt immobile, inerte et comme atterrée, et qui tantôt s’élance, d’un