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seul jet, pour en redescendre aussitôt, jusqu’aux dernières notes de la voix masculine.


Précipice élevé d’où tombe mon honneur,


dit un héros de Corneille. De là semble tomber aussi, d’une seule chute, la douleur du héros rossinien.

Mais déjà tout se relève, le courage d’Arnold et ses discours. A la méditation douloureuse, le mouvement, l’action héroïque succède. L’orchestre et le chant s’excitent, se pressent mutuellement. Emportés par je ne sais quelle émulation, ivres d’un croissant enthousiasme, ils se passent en quelque sorte l’un à l’autre les mêmes accens, les mêmes traits, et frappent tour à tour les mêmes coups. Les anciens Grecs distinguaient en leur génie deux modes ou deux principes. L’esprit dionysiaque entraîne cette frémissante coda. Dans les scènes qui suivent régnera plutôt l’esprit apollinien.

Après la tragédie intime et privée, voici le drame national et populaire. Du lyrisme individuel, la musique s’élève à l’épopée. Elle y atteint et s’y égale sans effort, avec autant de naturel et d’aisance, que de grandeur et de majesté. Rien d’aussi vaste, avant Guillaume, fût-ce un « ensemble » de la Vestale, de Cortez ou d’Olympie, n’avait paru dans le genre de l’opéra dit français. On peut ajouter : rien d’aussi pur. Entendez par là : rien où la vérité dramatique naisse plus facilement et toute seule, sans la corrompre aucunement, sans lui coûter le moindre sacrifice, de la plus musicale beauté. Qu’on ne parle point ici d’un décor musical : le mot, comme la chose, ne désigne que le dehors ou l’apparence grossière. Disons plutôt une fresque, avec la fermeté, la puissance et l’exactitude que cet art-là comporte, avec la couleur, en outre, et l’éclat qui peuvent lui manquer. Tous les élémens concourent à la grandeur d’une telle composition : premièrement les chœurs, dont se développe la série magnifique et diverse. Chacun a son mouvement, son rythme, son thème vocal, et chacun est précédé par un prélude d’orchestre. De ces motifs nombreux, pas un qui ne possède son caractère particulier et sa valeur propre ; pas un non plus que ne relie aux autres, à tous les autres, une sympathie secrète et comme une mystérieuse parenté. Ainsi, dans la suite infinie des formes sonores, nulle disparate et nulle monotonie. Que de fois, en écoutant se dérouler, sans hâte ni contrainte, les fières et libres polyphonies, on se prend à déplorer qu’un absurde système, ou plutôt peut-être une impuissance inavouée, défende à trop de nos modernes musiciens l’usage de ressources, de richesse pareilles, et les