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prisonniers, et se mit à interroger l’un des officiers russes, qui se contenta de le regarder d’un air de mépris, sans lui rien répondre. Sur quoi l’Allemand lut quelque chose dans un papier qu’il avait en main, pendant qu’un autre officier s’occupait de placer un groupe de six soldats devant chacun des prisonniers. J’en étais encore à ne pas comprendre bien nettement ce qui allait avoir lieu que déjà le major-général se mettait à l’écart, et agitait la main. Immédiatement les huit groupes de soldats levèrent leurs fusils et firent feu sur les prisonniers. Ceux-ci, d’ailleurs, ne furent pas tous tués du premier coup. L’un d’eux se roulait dans une agonie affreuse, deux autres tâchaient à se relever, et j’en vis même un qui tentait de s’enfuir. Il y eut alors une fusillade qui me parut durer interminablement : plus de cent coups furent tirés avant que toutes les victimes finissent par ne plus remuer. Et ces huit prisonniers ne furent pas les seules victimes de l’exécution. L’officier chargé de commander le feu n’ayant daigné prendre aucune précaution, ni donner le moindre avertissement, un certain nombre des spectateurs reçurent des balles égarées ; après quoi se produisit, sur la petite place, une bousculade où plus d’un civil fut foulé aux pieds. Et toujours je rappelle au lecteur que ces assassinats monstrueux s’accomplissaient avant qu’un coup de feu eût été tiré entre les forces armées des deux nations ennemies !


C’est seulement le lendemain 3 août, dans l’après-midi, que M. Morse rencontra des gendarmes russes qui, — après avoir d’abord sérieusement songé à le pendre, — le conduisirent jusqu’à une petite ville du voisinage où se trouvaient cantonnés un régiment d’infanterie et plusieurs bataillons de Cosaques. L’excellent vieux général en présence duquel il ne tarda pas à devoir comparaître eut d’abord, lui aussi, quelque difficulté à interroger un étrange vagabond qui semblait s’obstiner à ne comprendre aucune des questions qu’il lui posait tour à tour en russe, en français, et en allemand : mais il se souvint, fort à propos, que l’un des officiers du régiment, le major Polchow, avait la réputation de parler couramment l’anglais. Par l’entremise du major, M. Morse put enfin expliquer l’aventure qui l’amenait, et donner en même temps certains renseignemens des plus précieux sur des mouvemens de troupes allemandes qu’il avait eu l’occasion d’observer pendant les jours passés. « Il était plus de minuit déjà lorsque notre conversation prit fin ; et je pus voir tout de suite que mes réponses avaient produit sur tous mes auditeurs une impression favorable. Ce fut également durant cette soirée que j’appris, à mon grand soulagement, la fausseté des récits de l’officier allemand de Kalisz touchant la destruction de nos villes anglaises. Avant de me congédier, le général me dit que je pouvais être assuré d’obtenir, en Russie, l’aide et la protection que j’y étais venu chercher. Je lui