Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/467

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fis part de mon désir de retourner en Angleterre aussi tôt que possible ; et il fut convenu que, dès le lendemain, l’on s’occuperait de faciliter mon départ pour Riga. »

Mais voilà que, le lendemain, au moment où déjà ses nouveaux amis s’apprêtaient à lui dire adieu, voilà que M. Morse se sentit envahi d’un scrupule imprévu ! « La destinée avait fait de moi un Anglais, Dieu merci ; et il me semblait dur d’être forcé de tourner le dos à l’ennemi de mon pays avant de lui avoir montré le blanc de mes yeux ! » En Vérité, le commerçant anglais ne pouvait pas se résigner à quitter l’armée russe sans l’avoir, tout au moins, un peu aidée à combattre et à vaincre non seulement « l’ennemi de son pays, » mais plus encore la « bête féroce » qui s’était révélée à lui dans les rues de Kalisz. « Je commençais dès lors à savoir quelque chose de la cruauté et de l’ignominie allemandes, » nous dit-il. L’image des assassins de l’aubergiste et celle des exécuteurs des huit prisonniers inconnus, et puis aussi, sans doute, les deux images de l’officier qui l’avait, lui-même, grossièrement poussé par le bras et de celui qui l’avait « mystifié » avec ses fausses nouvelles de Londres ne cessaient pas de lui « hanter » la mémoire avec un ricanement de mépris, comme si tous ces répugnans personnages le raillaient de « leur tourner le dos » avant d’avoir « réglé ses comptes » avec eux. De telle sorte que, renonçant brusquement à son projet de retour en Angleterre, M. Morse demanda au général russe la faveur de « faire le coup de feu » contre les Allemands !


Après quoi, pendant près d’un an, ce vieux bourgeois anglais, « libéral » et volontiers « pacifiste, » avec cela incurablement ignorant d’aucune autre langue que la sienne propre, a « fait le coup de feu » dans les rangs de l’armée russe, — ou, pour être plus exact, en marge de ces rangs, car ses chefs lui permettaient d’employer librement, suivant sa fantaisie, les précieuses qualités d’énergie, de sang-froid, et de ténacité qu’ils avaient vite fait de découvrir chez lui. Remplissant tantôt le rôle d’un officier, et tantôt se réduisant à celui d’un simple tirailleur, prenant sur soi tour à tour les tâches les plus diverses, parmi lesquelles figurait même celle de « soutirer » des renseignemens « confidentiels » à des prisonniers ennemis qui parlaient l’anglais, — « car, nous dit-il, je m’abaisserais de bon cœur à des métiers plus pénibles encore que celui de l’espion pour empêcher le malheur effroyable que serait le triomphe de l’odieux tyran prussien, » — pendant près d’un an, il a dépensé toutes ses