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plongée, la tête en bas, dans une fosse à purin, et, dans une autre aile de la même ferme, ceux de deux hommes pendus dos à dos. La femme avait été tuée d’un coup sur la tête, qui avait fracassé le crâne ; et son corps avait été traité de la manière la plus scandaleuse. Les canonniers de notre batterie ont enterré ces trois misérables créatures dans un même tombeau, pendant la demi-heure de repos qui nous était accordée. Puis, ayant continué d’explorer la maison en ruines, nos hommes ont découvert le cadavre d’un vieillard paralytique, assassiné dans son lit à coups de baïonnette. Près de lui était un enfant de quelques mois, probablement mort de faim dans son berceau. Ce spectacle, et d’autres semblables dans le voisinage, ont produit un effet terrible sur mes compagnons ; et je ne serais pas étonné que maints blessés prussiens, les jours suivans, eussent été achevés expressément par représailles de ces crimes commis dans .la ferme polonaise.


Ou bien encore, quelques pages plus loin, dans le récit de la fameuse, — mais hélas ! trop brève, — invasion de la Prusse Orientale par la cavalerie du général Rennenkampf :


D’entendre affirmer que l’armée allemande n’est qu’une bande organisée de criminels, un corps bien dressé de voleurs et d’assassins, cela doit sembler à maintes personnes une exagération de mauvais goût ; mais certainement, si ces personnes avaient vu ce que j’ai vu là-bas, elles-mêmes ne pourraient s’empêcher d’affirmer tout cela. Dans des villages de la frontière, des jeunes filles ont été obligées de boire jusqu’à ce qu’elles devinssent profondément ivres ; après quoi, des officiers allemands les ont fait mourir, à force d’outrages. Nous avons trouvé le corps d’une vieille femme polonaise pendu par les pieds à un arbre : ses bourreaux lui avaient dévidé les entrailles, et avaient épinglé sur elle cette inscription allemande : « Une vieille truie qu’il ne reste plus qu’à saler ! » Une compagnie entière de fantassins prussiens a abusé du corps d’une pauvre femme qui a fini d’agoniser dans notre camp. Dans un village, plus de 150 hommes et enfans mâles ont été brûlés vifs. Ailleurs, dans un petit hameau près de Chiplichki, — (toujours les étranges noms russes élaborés dans les oreilles anglaises de M. John Morse !) — nous avons entendu les hurlemens de gens qu’on brûlait, et, en effet, nous en avons vu plus tard les restes consumés. Et que l’on ne croie pas que je cite là des cas isolés ! Tous les jours il m’est arrivé d’en voir d’analogues : mais j’évite d’en faire mention par crainte de trop dégoûter le lecteur. L’assassinat et la mutilation des blessés étaient, pour l’ennemi, une pratique invariable, chaque fois qu’il avait le temps de s’y livrer ; à tel point que nous nous étions tous plus ou moins endurcis et blasés devant ces horreurs.

D’autre part, lorsque la cruauté allemande était poussée trop loin, les Russes ne se faisaient pas faute d’user de représailles. Mais comment auraient-ils pu ne pas en user ? Et d’ailleurs je crois volontiers à l’efficacité pratique de ce genre de représailles : dans l’espèce, celles des Russes