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nous savons combien peu la gigantesque tentative des Allemands a réussi, encore qu’ils l’aient redoublée et triplée, reportée sur la rive gauche de la Meuse, vers l’Ouest, par Forges et Regnéville : arrêtés de nouveau devant la Côte de l’Oie, ils ne la monteront point au pas de parade. Pour savoir combien ils ont échoué, il faudrait savoir positivement ce qu’ils s’étaient proposé ; mais ce n’est qu’une question de plus ou de moins, et le moins sera déjà d’une immense conséquence. Au début de l’offensive allemande sur Verdun, on s’est étonné du choix d’un tel lieu et d’un tel moment. Quant au moment, il est choisi au mépris des préceptes de l’art de la guerre, lesquels « recommandaient jadis de ne point faire la guerre au printemps, » c’est-à-dire en cette saison froide et pluvieuse où nous sommes, qui est, au propre et au figuré, comme la liquidation de l’hiver ; préceptes qu’un vieux traducteur résumait par antiphrase dans cette formule : « Qui veut par ainsi que les forces, l’ordre, la discipline et la vertu militaire ne lui profite et vaille rien, qu’il fasse hardiment la guerre au printemps ; » mais il y a des siècles de cela, et les conditions de la guerre ont tant changé ! D’ailleurs, les Allemands n’ont peut-être pas été (écrivons prudemment : peut-être) ils ne sont peut-être plus les maîtres de l’heure. L’Allemagne a pu être pressée par diverses raisons ; et de ces raisons, qui sont des aiguillons, on en pressent, on en devine de toute sorte.

Raisons politiques : elle va émettre son quatrième emprunt de guerre, qu’il serait urgent de soutenir et de chauffer par la victoire ; le Reichstag est convoqué pour le 15 : il serait à la fois agréable et utile de lui sonner un réveil en fanfare. L’esprit public, sinon l’opinion parlementaire, toute de style officiel, paraît en avoir besoin. Raisons dynastiques, un peu plus menues ou plus égoïstes : l’Empereur, dans l’intérêt de la famille, aurait voulu procurer à son fils, dont le prestige est ébranlé, l’occasion d’un éclatant succès, lui faire gagner un bâton de maréchal plus long que ceux d’Hindenburg et de Mackensen, le ceindre, par anticipation d’hoirie, de la couronne de laurier : Heil dir im Siegerkrantz ! Raisons plus générales et plus graves, les unes d’ordre économique : l’Allemagne, si elle n’est pas réduite à la famine, est certainement très gênée ; si elle ne souffre pas d’une disette absolue, elle manque de bien des choses considérées comme nécessaires, en ce sens au moins qu’elle n’en possède, n’en produit et n’en reçoit pas une quantité suffisante : elle n’est pas encore à la diète, mais elle est depuis des mois déjà à la ration. Bien que, contre son gré, elle n’achète pas au dehors autant que d’autres nations, la valeur du mark