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simple. C’est que, depuis longtemps, il n’y a eu autant de bien-être dans le peuple que depuis le commencement de la guerre. Cet effet a été immédiat. Ces miséreux, ces vagabonds, qu’on appelle les tramps et qu’on rencontrait errant sur les routes et quêtant du travail, avaient disparu. Parmi les ouvriers, beaucoup avaient quitté leur usine pour s’enrôler et pour toucher le shilling quotidien que l’État leur promettait. Il n’y avait plus de compétition, mais, au contraire, du travail pour tout le monde, plus de travail que les classes laborieuses n’en pouvaient fournir. Mon jardinier m’avait écrit cette lettre caractéristique : « Monsieur, ne comptez pas sur moi la semaine prochaine. Je pars pour répondre à l’appel de mon roi et de mon pays. » J’eus grand’peine à lui trouver un remplaçant, qui me demandait deux francs de plus par jour et qui m’abandonna dès qu’il trouva à gagner davantage chez un voisin. On se disputait la main-d’œuvre pour toutes les besognes qui exigeaient la force masculine et on assistait, sur ce marché du travail quotidien, à une véritable surenchère.

Un homme qui avait été à mon service et qui, depuis la fin de l’année précédente, cherchait, sans la trouver, une place, si humble qu’elle fût, pour nourrir sa femme et son enfant, fut tout à coup avisé qu’il était admis dans l’administration des tramways avec des appointemens de deux livres (cinquante francs) par semaine. Il s’empressa de profiter de l’aubaine et se trouva plus à l’aise qu’il n’avait jamais été. Je cite le cas de cet homme, parmi bien d’autres, parce que son histoire est l’histoire même de sa classe.

Les femmes avaient reçu leur part de ce qu’on peut appeler, sans aucune ironie, les bienfaits de la guerre. L’immense majorité des filles du peuple se placent dans les magasins, comme employées et comme ouvrières ou, comme servantes, dans les maisons bourgeoises. Sait-on en France combien le nombre des servantes est plus considérable, à proportion, en Angleterre qu’il ne l’est chez nous ? Ce luxe de servantes peut être attribué à diverses causes. D’abord, la vanité des maîtresses de maison : si mistress Jackson a trois bonnes, il est naturel que sa voisine, mistress Johnson, en ait autant ou davantage. D’ailleurs, une maison entière, de la cave au grenier, exige plus de personnel que les demi-étages où se concentre notre vie parisienne. Enfin, les servantes anglaises réclament de fréquentes