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en leur montrant, d’un geste, la France protestante comme un champ sur lequel ils pouvaient régner. Mais ce cadeau était gâté, pour Genève, par la présence de l’abbé Vuarin. Ce prêtre, et surtout sa messe, gênaient cette cité. Au début de 1803, le préfet d’Eymar étant mort, Vuarin réclama de la ville un cimetière pour les catholiques. Il fallut l’accorder : la concession, si pénible fùt-elle, ne faisait qu’assurer le repos éternel d’une poignée de papistes, qui étaient des morts. Mais une autre demande, bien plus grave, présentée par d’Eymar dès le mois de mai de l’année précédente, inquiétait la Société économique, la Compagnie des pasteurs et la municipalité. L’administration française réclamait, pour l’Église romaine, la jouissance du temple de Saint-Germain. On tergiversa, on épilogua, on proposa de prêter le temple allemand de l’Oratoire, ou d’aménager pour ces envahissans mystères, qu’on avait si bien crus pour toujours abolis, les vastes souterrains des greniers de Rive.

Mais les catholiques refusaient : l’évêque d’Annecy se remuait, faisait remuer Fesch, qui venait de monter sur le siège de Lyon. Paris insista ; Genève dut céder, et sa municipalité dut payer un bail, elle-même, à la Société économique, pour le temple de Saint-Germain, afin que les catholiques en eussent la jouissance. Le 16 octobre 1803, l’abbé Lacoste, nommé curé de Genève, bénissait l’église et y célébrait la messe. C’était le premier temple où jadis la Réforme fût entrée : son curé, Pierre Vandel, passant au protestantisme, l’avait lui-même livré au culte nouveau. Ce qu’avait fait Pierre Vandel, Lacoste l’allait défaire. Sa messe de minuit, en décembre 1803, fut troublée par des tumultes : à l’Offertoire, il dut quitter l’autel, se retirer. Mais la liberté de la messe avait pour elle l’autorité française. La haine traditionnelle contre l’idolâtrie pouvait s’épancher en suprêmes soubresauts : quelque chagrine que fût leur humeur, les manifeslans comprirent qu’ils devaient se résigner, et garder à l’avenir silence et respect.

En septembre 1804, l’évêque Mérinville arriva d’Annecy pour sa visite pastorale : depuis Saint-Julien, des gendarmes l’escortaient ; il échangea des complimens avec le maire de Genève. Pour la première fois depuis la Réforme, un évêque entrait officiellement dans la ville de Calvin. Il partait très content : « Les protestans, disait-il plus tard à Pictet, se sont montrés plus amis des catholiques que plusieurs de ceux-ci