Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/538

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre eux. » Mais l’amitié des autorités genevoises pour les catholiques avait des limites : l’abbé Vuarin, devenu curé en mars 1806, ne tarda pas à s’en rendre compte. Lorsque, en 1808, la mère de Napoléon désira que la ville de Genève reçût et entretint trois sœurs de charité, un conseiller s’écria : « Le XVIe siècle nous a débarrasses des nonnes ; nous ne voulons pas, au XIXe, rétrograder. » Vuarin tint bon. Dans l’été de 1810, Noyon, la patrie de Calvin, essayait en vain de retenir une religieuse nommée sœur Benoît, que ses bonnes œuvres avaient fait aimer. Elle s’arrachait à la petite ville picarde pour devenir à Genève supérieure de la communauté des sœurs de Saint-Vincent de Paul, créée par Vuarin. C’est de Noyon, près de trois siècles auparavant, qu’était venue dans Genève la foi sans les œuvres. Une coïncidence ironique voulait que ce fût Noyon qui réintégrât dans Genève l’ascétisme catholique et qui, dans Genève, ramenât les œuvres.

Le Consistoire prit ombrage, nomma une Commission « pour informer dans le cas où les sœurs chercheraient à faire des prosélytes ; » et, de crainte que le culte immigré, qu’on soupçonnait d’être ambitieux, ne prétendit à se réinstaller dans Saint-Pierre, la Réforme y consolidait ses positions en installant la Faculté de théologie dans une des chapelles de l’édifice. Les anxiétés genevoises s’avivaient d’autant plus que les sentimens de l’Empereur à l’endroit de Genève s’étaient publiquement modifiés. Pouvait-il, aux yeux de Napoléon, venir quelque chose de bon de Genève, puisque Mme de Staël demeurait tantôt dans la ville, tantôt dans sa banlieue ? Au cours du duel que l’Empereur soutenait contre cette femme, Genève risquait fort de recevoir quelque terrible coup. Au demeurant, Genève donnait moins de conscrits qu’on ne l’eût souhaité ; on cherchait les causes, on constatait un chiffre assez élevé de suicides ; et Montalivet inclinait à dire que la faute peut-être en était à la Réforme, qui ne soumettait pas l’homme à la confession et qui était moins apte à consoler le désespoir. L’administration napoléonienne arrêtait ses regards sur la personnalité religieuse de la ville : on eût dit qu’elle aspirait à la modifier ; à l’encontre des pasteurs réformés et des prêtres romains qui, pour des raisons inverses, redoutaient pareillement les mariages mixtes entre protestans et catholiques, un fonctionnaire déclarait qu’on devait encourager ces unions, afin de changer promptement le