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doctrinal. De cet éclectisme elle se faisait gloire ; elle s’enorgueillissait de cette nouveauté, par laquelle Genève lui semblait devancer l’avenir.

« Genève, lisait-on en 1831 dans le programme du journal le Protestant, offre à la chrétienté le spectacle d’une Eglise constituée et toutefois subsistante par la seule force de ses règlemens de discipline. Tandis que la plupart des Eglises protestantes nationales sont encore, au moins pour la forme, sous le joug des formulaires de dogmes, tandis que celles qui se sont déclarées ou dissidentes ou indépendantes n’ont ainsi procédé que pour entendre prêcher et professer en leur sein certains dogmes et non pas d’autres, Genève, depuis plus de cent ans, a su à la fois se passer de confession de foi autre que la Bible, et se maintenir Eglise nationale en réunissant autour d’elle la généralité des fidèles qui constituent son troupeau. Les pasteurs de Genève ont admis et proclamé, les premiers, le grand fait de la variété des doctrines comme compatible avec l’unité de l’Eglise et avec celle de la discipline. »

La variété dans l’unité, ripostera plus tard l’austère Agénor de Gasparin, « ce n’est qu’un salut adressé à nos péchés favoris. » Et puis, parmi ces doctrines variées, lesquelles, péchés ou non, étaient des favorites, et lesquelles des disgraciées ? Il était permis, pour en avoir un indice, d’attacher quelque importance aux cours de l’Académie : Jacques-Caton Chenevière fit savoir à Genève et au monde réformé, en 1831, par la publication de ses Essais de théologie, quelle était la dogmatique dont s’alimentaient, sur les bancs, les futurs pasteurs. Dans ce livre de Chenevière, on cherchait la Trinité, on ne la trouvait plus ; l’auteur était franchement unitaire. On y cherchait le calvinisme, et ou y lisait, en guise de conclusion, que le calvinisme est en opposition avec l’Evangile, que le calvinisme et son frère le méthodisme sont, « de toutes les formes qu’a prises la religion dans une conscience d’homme, les plus rebutantes et, dans les temps modernes, les plus haïssables ; » et Chenevière garantissait que, dans l’Evangile, pas une personne impartiale et sensée ne pouvait trouver le calvinisme. L’attitude de l’Eglise devenait un grand sujet de troubles pour les jeunes candidats au pastorat qui commençaient leurs études : certaines pages de jeunesse d’Ernest Naville témoignent que dans l’auditoire de théologie il sentait ses convictions s’ébranler et que l’esprit de vocation