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ecclésiastique y devenait inconnu. « Ma première année de théologie, écrira plus tard le pasteur Théodore Borel, fut une souffrance continuelle : j’ai entendu traiter si légèrement les choses religieuses, j’ai vu faire la prière de chaque jour avec tant de désinvolture, sauf par M. Cellerier, j’ai entendu démolir avec tant de sans-gêne quelques-unes de mes opinions les plus chères, que j’ai passé par la phase douloureuse de l’incrédulité. » Et le jeune pasteur Charles Barde, qui devait tenir dans la chrétienté genevoise une place très respectée, rentrant d’Angleterre en 1830, se demandait avec quelque angoisse s’il pouvait entrer dans la Compagnie, qui, du reste, soupçonnant en lui un méthodiste, ne l’accueillait qu’après beaucoup de mauvaise grâce ; il interrogeait sa conscience : un ministre du Christ devait-il « s’astreindre à rendre compte à un corps dont il estimait que la majorité n’était pas dans la foi ? » La façon si franche, si cassante, dont l’Eglise genevoise rompait ses liens avec Calvin, avec son premier pape, éveillait des doutes, suscitait des scrupules, provoquait des mouvemens de retraite.


V

Mais des hommes se levèrent pour venger Calvin et pour recueillir les étudians dont la foi s’affaissait : c’étaient les hommes de la Société évangélique, et ce fut dans cette minorité religieuse, frappée de suspicion par les organes officiels du peuple de Dieu, que s’abrita la gloire chancelante de l’infortuné Calvin. La Société évangélique lança l’avis qu’une école libre de théologie allait s’ouvrir : Gaussen, son ami Galland, qui dirigeait à Lausanne un institut missionnaire, et puis Merle d’Aubigné, chapelain de la cour des Pays-Bas, occupèrent vaillamment les premières chaires. Un crédit de 10 000 francs, ouvert par le colonel Tronchin, fut le premier viatique de ces aventureux professeurs. « Dieu créa notre école de rien, » disait plus tard Gaussen, et suivant le mot d’Edmond Scherer, qui fut l’un de ses maîtres, elle ne pouvait fournir à ces étudians, lorsqu’ils quitteraient ses bancs, que le bâton de pèlerin et l’affectueuse bénédiction. Mais elle se considérait comme seule susceptible de maintenir des communications entre Genève et les autres Églises réformées, demeurées étrangères à l’évolution dogmatique qu’attestait avec fracas l’ouvrage de Chenevière.