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Cette prétention, nettement affichée, fut accueillie par la Compagnie comme un outrage : à la fin de novembre 1831, la Compagnie et le Consistoire enlevaient à Gaussen sa paroisse de Satigny et lui interdisaient, ainsi qu’à ses deux collègues, toutes les chaires du canton. Les trois parias résistèrent, suivirent leur voie : le 30 janvier 1832, encouragés par les adresses de cent vingt-trois pasteurs et de plus de huit cents ecclésiastiques anglicans, ils ouvrirent leurs cours. « La puissance individuelle de ces hommes, écrivait alors Vinet, est un foyer dont l’action ne peut qu’augmenter dans la position réelle et indépendante qu’on vient de leur assigner. »

Ils bâtissaient en 1834 la chapelle de l’Oratoire : la Compagnie ayant elle-même coupé les liens que la Société évangélique espérait d’abord garder avec elle, on vit la Société ouvrir un culte, aux mêmes heures où se célébraient les cultes dans l’Eglise nationale ; elle commença d’y célébrer la Cène, à la Pentecôte de 1835. Bien que Gaussen n’aspirât qu’à rentrer dans l’Eglise nationale, les deux établissemens religieux s’opposaient ; ils semblaient se surveiller. En 1835, à l’occasion du jubilé de la Réforme, la Compagnie gratifiait d’un prix le travail où le méthodisme était le mieux attaqué, et les dissidens, en leur chapelle, priaient pour la conversion de Genève. L’Eglise vaudoise, l’Eglise presbytérienne d’Ecosse montraient à la Société évangélique leur attachement en refusant de se faire représenter aux solennités jubilaires de l’Eglise nationale : ce jubilé de la Réforme, de l’individualisme religieux, devenait une occasion, pour l’une et l’autre Eglise, de se reprocher réciproquement l’usage qu’elles faisaient de leur individualisme.

Jacques-Caton Chenevière, en ces turbulentes années, recevait parfois d’étranges visites : des jeunes filles, formées par le Réveil, venaient lui montrer la Bible et plaidaient pour le devoir qu’avait l’Eglise, au nom du Livre, de professer tel ou tel dogme : leur pétulance de théologiennes, alléguant en faveur de ces dogmes leur liberté de protestantes, mettait hors de lui le docte professeur. Du haut de son jabot de dentelles, il les stigmatisait : « Des vierges de treize à quatorze ans font la leçon à leurs pasteurs et leur disent sans baisser les yeux qu’ils ne sont pas chrétiens ; de jeunes demoiselles écrivent à des ecclésiastiques des lettres toutes cousues de passages des livres saints, mal appliqués ; des jeunes filles viennent catéchiser et