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— Vous savez sans doute, me dit-il, que pour donner de bons résultats l’injection de sérum antitétanique doit être pratiquée dès les premiers symptômes de la maladie. Or, avec l’étendue et l’éloignement considérable de notre front, cela n’est pas toujours possible, d’autant plus que le sérum ne se conserve qu’un mois environ. Néanmoins, grâce aux précautions prises, nous avons beaucoup moins de tétaniques qu’au commencement de la guerre.

En venant visiter l’hôpital, j’avais fait provision d’une forte dose d’insensibilité, au moins apparente. Je n’ai heureusement pas eu à la mettre à l’épreuve. Sur les 18 malades présens, un seul était dans la période aiguë, encore son état ne présentait-il plus aucun danger. Tous les autres étaient des convalescens.

Nous arrivons à l’hôpital militaire n" 74 (420 lits) à l’heure du diner. Comme tous les autres hôpitaux militaires, il est placé sous la dépendance du ministère de la Guerre et de la Croix-Rouge. Cependant, Sa Majesté, désireuse de lui donner une preuve particulière d’intérêt, consacre 2 000 roubles à l’amélioration de l’ordinaire. Aussi dois-je voir le menu et goûter la soupe. Mais la pendule de la cuisine retarde de vingt minutes et le. diner n’est pas prêt.

Nous passons donc au bâtiment de la deuxième section qui a sa cuisine particulière. Une excellente odeur nous avertit dès l’entrée qu’ici on est à l’heure et que le diner sera bon.

— Impossible de vous présenter la carte, plaisante le colonel, mais notre maître-queux va vous annoncer le menu.

Le brave « cuistot » s’avance, tout fier qu’on s’intéresse à ses marmites. Peut-être ne se doute-t-il pas de l’importance de son rôle. Pourtant, c’est au fond de ces chaudrons qui, en Russie comme en France ne sont heureusement pas en peine de s’alimenter, que s’élaborent en grande partie la force, la santé et par conséquent le courage de tant de braves soldats.

Le menu du jour se compose, pour les hommes atteints de blessures légères et sans fièvre, de chtchi et de viande rôtie. La viande, agrémentée de jus, est succulente ; mais que dire de la soupe ? Qui n’a mangé ni borchtch ni chtchi ignore ce qu’est une bonne soupe. Prenez un morceau de viande coupé en petits carrés ; faites mijoter dans le bouillon, jusqu’à ce que le tout soit fondant, du chou, des tomates, et un peu de pommes de