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terre. Au moment de servir, jetez une bonne cuillerée de crème aigre dans le mélange... et vous aurez le chtchi. Mais vous ne l’aurez savoureux et parfait que si un Russe, un vrai Russe, y a mis la main !

Le menu pour les faibles comportait un consommé, une omelette soufflée, — battue de main de maître, comme une femme de Molière ! — et du cacha d’orge. Mais quelle que fût la saveur de ces mets, j’avoue qu’ils ne m’ont pas fait oublier le chtchi.

Le général Youféroff, chambellan de la Cour, chef du rayon d’évacuation de l’armée du Nord et directeur de l’hôpital n° 74, nous accompagne dans les salles.

— Bonjour, frères I dit le colonel de Wittchkowsky en y entrant.

— Nous souhaitons une bonne santé à Votre Haute Noblesse, répondent en chœur les blessés.

Un sous-officier s’avance au rapport et, avec ce rythme saccadé que la discipline russe impose à tout subalterne parlant à son chef : « J’ai l’honneur de rapporter à Votre Haute Noblesse que, dans telle et telle section, il y a tel et tel nombre de blessés et que tout va bien ! »

L’hôpital 74 ne reçoit que des grands blessés. Dans la salle où nous sommes, la plupart sont en voie de rétablissement. Le colonel leur annonce que je suis venue tout exprès de France pour leur apporter le salut amical de leurs camarades de l’armée française, et ils me regardent avec une amusante curiosité. Que n’ai-je le temps de causer avec ces braves et d’apprendre d’eux-mêmes leurs exploits. Mais l’heure passe, et il nous reste encore tant à voir !

Au fond de la salle, une cloison mobile vient de glisser sur son rail. Derrière apparaît une sorte de paravent, décoré d’images saintes. Les deux battans du milieu s’ouvrent comme une double porte. Des veilleuses brûlent devant les icônes. Et comme je questionne, surprise :

— C’est notre chapelle ambulante. Encore une touchante idée de l’Impératrice. Sa Majesté n’a pas voulu que les blessés fussent, pendant des mois, privés de leurs offices religieux. Chaque jour cette chapelle se transporte dans l’un ou dans l’autre de nos hôpitaux et un prêtre y célèbre le service divin. Je suis heureux que nous l’ayons trouvée ici !