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Tenus à l’écart, il leur était facile d’en dégoûter la clientèle sans avoir besoin d’inscrire sur leur boutique, comme firent quelques-uns, cet avis hautain : « Ici, on ne vend pas de viande frigorifiée. » Les préventions étaient telles qu’en certaines localités surburbaines on n’osait trop s’approcher de l’étal exclusif où cette viande était offerte ; chacun craignait d’être montré au doigt. La décongélation, du reste, que les bouchers de Londres font depuis longtemps le plus simplement du monde, exige un minimum d’expérience que des novices, recrutés avec peine, ne possédaient pas et la marchandise n’avait pas toujours bon air. Le ministre finit par faire voter à la Chambre une subvention de 500 000 francs en faveur des coopératives de Paris et de province — il y en a jusqu’ici trois ou quatre, — qui vendraient de la viande frigorifiée. Geste platonique, disons-le : l’intendance ne pourra guère céder plus de quelques douzaines de tonnes par jour à la population civile d’ici à la fin de la guerre, et, la guerre terminée, l’éducation du public se fera d’elle-même par les soldats retour du front.

Il faut donc s’attendre à ce que la viande fraîche ne baisse pas au détail, puisque les bœufs et les veaux sur pied sont en hausse moyenne de 30 pour 100 sur les marchés des pays d’élevage. Cependant la France a importé, en 1915, sous forme de bétail vivant ou de conserves en boites, de viande salée ou frigorifiée, un poids de 2 millions 800 000 quintaux de plus qu’en 1913.

Pour la charcuterie au contraire, l’importation a diminué ; mais ce n’est pas à la disparition des « jambons d’York, » dont la qualité supérieure venait presque exclusivement de Hambourg, qu’est due la hausse des porcs qui atteint 50 pour 100 depuis la guerre et surtout depuis un an. Les poitrines et les jambons en gros sont passés de 220 francs à 320 et 360 francs les cent kilos ; avec le haut prix des céréales, orge ou sarrasin, les campagnards élèvent moins et ce qu’ils élèvent leur revient plus cher. Des causes analogues, l’augmentation de l’avoine et du son, ont agi sur le prix des lapins qui, de 1 fr. 80, sont montés à 3 francs le kilo.

Les saucissons-populaires avaient haussé de 20 pour 100, sans que les porcs eussent enchéri, depuis que l’on avait interdit aux fabricans de salaisons le mélange de viande de cheval, naguère pratiqué dans la proportion d’un quart avec la chair