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avec une certaine peine, entre 30 et 33 centimes, le lait dont ils ont besoin ; au détail les familles parisiennes le paient 40 et 45 centimes.

Préoccupées de garder pour leur propre usage les denrées de leur cru, chacune des nations d’Europe en limite ou en interdit la sortie : l’Angleterre ne nous envoie qu’avec parcimonie son chester ; de Hollande, il ne nous est venu l’an dernier que 34 000 quintaux de fromages, au lieu de 85 000 ; nous-mêmes avons ramené par décret aux chiffres d’avant la guerre notre exportation des beurres frais et salés qui avait un peu monté en 1915.

Nous avons aussi vendu 100 000 quintaux de fromages en moins à l’étranger. Chiffres minimes d’ailleurs, comparés à ceux que représente la production de ces articles en France : n’oublions pas que, depuis quarante ans à peine, le nombre des vaches et génisses avait passé chez nous de 7 millions à 12 et demi, et que la production d’un seul fromage, le roquefort, dont il se faisait sous Louis XV, 600 000 kilos et 1 200 000 sous Louis-Philippe atteignait onze millions de kilos en 1912.

Depuis la guerre, il semble que la quantité de lait, par suite d’un trop grand abatage de vaches, ait diminué ; son emploi s’est largement accru. Le café au lait, pour bien des adultes arrachés à leurs foyers, a remplacé la soupe rurale. Cette réduction du lait, qui peut-être contribue au moindre élevage des porcs, a eu pour conséquence directe le renchérissement des beurres : à Paris, ceux de Bretagne ont haussé de 90 pour 100, — de 260 francs les 100 kilos, en 1914, à 490 francs aujourd’hui ; — les beurres d’Isigny ou des Charentes, de 40 pour 100 seulement : de 400 francs à 560. Un moment on avait fixé un prix trop bas pour les qualités fines, ce qui les avait chassées des marchés ; il n’en venait plus.

Même au taux actuel, il en vient peu ; pour tâcher de maintenir leur taxe conventionnelle et paralyser la hausse, les mandataires aux Halles limitent les achats ; on se fait inscrire d’avance pour une motte de beurre. Les ménages peu fortunés se rejettent sur le saindoux, la graisse alimentaire à 2 fr. 40 le kilo, ou sur ce qu’on appelle « Végétaline » et « beurre de Coco, » qui ne sont autre chose que des graisses de bœuf bien travaillées avec de l’huile jusqu’à insipidité. C’est, sous un autre nom, la résurrection de la margarine, pour laquelle le commerce et