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cette année 160 francs aux détaillans, qui le repassaient à leur clientèle avec un léger bénéfice ; car le détaillant parisien gagne peu sur les œufs, de décembre à Pâques ; mais, quand la baisse se produit aux Halles, il maintient ses prix autant que possible jusqu’au 1er juillet, et réalise en trois mois son profit annuel.

On aurait tort, du reste, de croire que la hausse actuelle soit pour une part quelconque imputable aux intermédiaires de gros ou de détail. Les légendes d’ « accaparement » et de spéculation, qui trouvent de toute éternité bon accueil dans le public et même dans les assemblées délibérantes aux époques d’extrême cherté, sont dénuées de tout fondement. Il n’est pas nécessaire d’être très versé dans les arcanes du commerce, pour concevoir que c’est au contraire en période d’abondance et de bon marché que les intermédiaires, petits et grands, s’approvisionnent amplement à peu de frais et à moindre risque ; c’est aussi dans ces momens-là qu’ils jouissent d’une marge importante entre le prix d’achat et le prix de vente ; celui-ci toujours plus lent à se réduire : le consommateur, habitué à payer un certain chiffre, ne se plaint pas.

En temps de hausse, c’est l’inverse. Les intermédiaires gagnent à la vérité sur leur stock en magasin, s’ils en possèdent ; lorsqu’il s’agit de marchandises susceptibles de conservation, ils en portent le prix au niveau de celui auquel ils devront se réapprovisionner eux-mêmes ; seulement, devant les résistances des acheteurs, menaçant de s’abstenir ou de changer de fournisseurs, commerçans de gros et de détail sont portés à restreindre leur prélèvement, non par générosité ou philanthropie, mais par une concurrence naturelle et par le souci de leurs intérêts. A pénétrer intimement, à l’heure actuelle, toutes les branches de commerce qui ne sont pas investies d’un monopole, le phénomène se vérifie aisément, et il est général.

Ceci ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu de marchandises surfaites, quoique souvent, parmi celles qui semblent le plus évidemment majorées, il se peut que leur prix excessif ait tenu a une production mal organisée, plus qu’à une ambition de gain démesurée des vendeurs : au début de la guerre, l’Etat faisait fabriquer pour la troupe, à façon, pour 50 000 kilos par jour de conserves assaisonnées, dont il fournissait la viande et la boite, et qui lui revenaient à 4 fr. 70 le kilo. Après de longs