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poisson forcément devenait rare ; d’autant plus que, si la pêche en haute mer est tout à fait supprimée, la pêche côtière est elle-même fort gênée ; on a dû l’interdire dans les environs des ports et dans presque tous les estuaires des grands fleuves, parce que rien ne serait plus facile à un sous-marin que de s’embusquer derrière un bateau de pêche et, dissimulant ainsi son périscope aux lorgnettes qui fouillent l’horizon, de sortir brusquement de cet abri pour attaquer les paquebots ou les transports de guerre. Le personnel a disparu des ports en même temps que le matériel : le plus grand nombre des pêcheurs sont mobilisés ; il ne reste que les vieux et les mousses. Leur consolation est de gagner davantage. Le poisson de luxe a presque doublé, le poisson commun a plus que triplé : la hausse des soles, de 3 fr. 25 à 6 francs le kilo, semble raisonnable auprès du kilo de dorades ou de colins passé de 0 fr. 75 et 0 fr. 90 à 3 fr. 50 ; du kilo de raies ou de merlans de 0 fr. 50 ou 0 fr. 60 à 1 fr. 50 et 2 francs. Le maquereau, que des crieurs ambulans débitaient le long des rues dans les quartiers populaires : — « Il arrive le maquereau, il arrive ! » — à raison de 16 francs le cent, en vaut aujourd’hui 45. Tous ces poissons fournissaient avant la guerre à la population pauvre une nourriture substantielle et à bon marché.

La consommation du poisson frais était de nos jours à Paris vingt fois plus grande qu’il y a cent ans, — de 2 millions de kilos à 40 millions par an, — tandis que celle des salaisons, harengs ou morues, qui s’était fort développée en province, était tombée, depuis la fin de l’Ancien régime, de 4 millions de kilos à 900 000 aujourd’hui dans la capitale. Les Parisiens voudraient-ils y revenir par économie qu’ils devraient payer la morue 80 pour 100 de plus qu’avant la guerre et qu’une boite de 25 harengs saurs, au lieu de 2 francs en 1913, vaut 4 fr. 75. Le poisson frais est si disputé que les différentes villes renchérissent directement dans les ports, à la plus grande joie des gens de mer.

Scandale inqualifiable, disent les marchands évincés ! Est-il raisonnable, est-il « juste » que ce pêcheur, qui était satisfait et gagnait sa vie en vendant ses soles 3 francs, se mette à les vendre le double et encaisse ainsi un bénéfice « exorbitant ? » Remarquons que si, par une cause quelconque, ce pêcheur, réduit à céder les mêmes poissons pour trente sous au lieu de