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si le sucre avait été à bas prix. Mais le sucre a doublé : de 37 francs à 75 francs, non compris les 25 francs d’impôt, le raffinage et le profit du détaillant, qui le portent à 1 fr. 15 ; et sans doute eût-il triplé comme le vin, si le même ministère, dont nous avons vu le rôle bienfaisant pour le blé, ne s’était fait aussi marchand de sucre.

Les résultats de son intervention sont ici moins saillans ! tout simplement parce que le sucre a, sur le marché mondial beaucoup plus enchéri que le blé, et parce que l’Etat n’avait aucune raison pour revendre à perte celui qu’il avait acheté au dehors. Au lieu de 700 000 tonnes dont la France disposait annuellement, sur lesquelles 110 000 provenaient de ses colonies, — le reste étant produit sur son propre sol, — nos fabriques indigènes, dont 180 sur 220 sont situées dans des départemens partiellement au pouvoir de l’ennemi, ont produit seulement 140 000 tonnes en 1915. Les envois de nos colonies et les achats faits en Amérique et à Java par le commerce libre s’élèvent à 350 000 tonnes. Au moyen d’un stock supplémentaire de 175 000 tonnes, dont il a fait directement l’acquisition à l’étranger, l’Etat est en mesure d’exercer sur les prix une action régulatrice.

Il le fait avec modération en tenant compte de son propre prix de revient et de celui des cultivateurs et industriels français, dont les frais ont augmenté parce qu’ils travaillent dans des conditions anormales. Il convenait de leur laisser une marge raisonnable, aux uns pour la vente de leurs betteraves, aux autres pour le prix de leur sucre brut. Le Ministère s’est engagé à leur reprendre le sucre invendu pour 70 francs le quintal, à la condition qu’eux-mêmes le cèdent aux raffineries à 75 francs. Tout au contraire des taxes brutales et obligatoires d’autrefois, toujours inopérantes, c’est une entente, un trust formé par l’Etat avec l’industrie privée. La spéculation disparaît, non par décret ou prescription solennelle, ce qui serait un rêve, mais parce qu’on lui enlève son objet en fournissant au public ce qu’il demande. Or le public demande 45 000 tonnes de sucre par mois, très peu de moins que si les prix n’avaient pas haussé.

Personne ne renonce à ses confitures, à ses pâtisseries, à son chocolat : nous importons 28 000 quintaux de thé, au lieu de 12 000 et 75 000 quintaux de cacao de plus qu’avant la guerre, et, — serait-ce que la chicorée est hors de prix ? —