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stériles : on agit. On ne reconnaît qu’une nécessité : vaincre. On laisse aux chefs les responsabilités de la stratégie et l’on se contente de faire strictement, scrupuleusement son devoir dans la sphère où l’on est placé. Ainsi, aucune force ne se perd, aucun courage ne s’abat. Bien chaussé, bien vêtu, bien nourri, bien portant, largement pourvu de munitions, le soldat russe ne demande qu’à aller jusqu’au bout de son effort, quelque difficile, quelque dur que cela soit.


Parmi tous nos blessés, il n’en est pas qui excitent plus d’admiration et d’enthousiasme que les Cosaques-Partisans. On nous les a amenés un soir, à la lueur des torches, encore tout frémissans de leurs exploits dans les marais de Pinsk. L’avant-veille, un détachement de 700 d’entre eux avait anéanti un bataillon de cavalerie allemande, sans compter des fantassins et des artilleurs, capturé ou tué l’état-major de la 82e division d’artillerie, fait sauter des canons et un dépôt de munitions, sans perdre plus de trois tués et une trentaine de blessés.

Dès le lendemain, avec ce dédain de la souffrance qui leur est propre, assis sur leurs couchettes, ils ont refait pour nous Sur les cartes militaires le chemin de leur dernière incursion.

— Nous étions là, près du Stroumen, dont les Allemands occupent l’autre rive. Des paysans nous avaient appris qu’il y avait tout un régiment cantonné à Niével avec son état-major. Les Allemands se croient bien gardés par les marais qu’eux-mêmes ne peuvent franchir. Mais ils comptent sans nous dont la mission est justement de tomber à l’improviste sur les derrières de l’ennemi et de lui faire le plus de mal possible. Nous résolûmes donc de les surprendre. Nous laissons nos chevaux et nous partons conduits par quelques moujiks. Il faisait une claire nuit d’étoiles. Nous parcourûmes en traîneau la distance qui nous séparait des marais, puis nous entrâmes résolument dans la boue gluante et froide. Nous en avions parfois jusqu’aux cuisses et il arrivait qu’un camarade s’y enfonçât tout à fait, vite retiré par une main solide. Pas un mot, pas un cri, pas un souffle : on serait mort plutôt que d’appeler au secours. Lo succès de nos incursions dépend de la rapidité et de la discrétion avec lesquelles on les conduit.

— Malheur à celui qui éternue ! avait dit un officier avant