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fait disparaître nos têtes au ras du sol, que le claquement d’une balle nous rappelle que les veilleurs ennemis font bonne garde. Partout devant nous, dans tous ces petits trous, des yeux sont aux aguets. Il faut chercher ailleurs un endroit d’où nous puissions tranquillement observer les tranchées ennemies.

A droite, au delà de la route d’A..., notre ligne de tranchées a été creusée dans le fossé d’un chemin qui suit la lisière du bois du G... Les Allemands ont fait des efforts désespérés pour parvenir jusqu’à ce bois et couper notre tête de pont du G... Les cadavres de leurs dernières attaques, en groupes nombreux et compacts, jonchent encore le champ qui nous sépare du Bois en Potence. L’un d’eux me frappe par son attitude. L’homme s’est traîné pour mourir à côté d’un de ses camarades, sur les genoux duquel il a appuyé sa tête, tournant vers le ciel son visage parcheminé, qu’encadre une barbe blonde. Plus loin, devant les bois du Luxembourg, où nous avons pris l’offensive, ce sont des Français qui sont étendus. Quelle inexpiable guerre que celle où les adversaires restent des mois face à face sans s’accorder aucune trêve pour ensevelir leurs morts !

Ici nous pouvons sans difficulté relever les nouveaux élémens de tranchées qui, en avant du bois du G..., constituent l’amorce de futurs bastions. Il est important de situer exactement sur la carte notre première ligne, afin que les artilleurs qui ne peuvent la voir règlent leur tir en conséquence. Notre travail achevé, nous prenons le chemin du retour. Au delà de la crête de la maison B..., on échappe à la vue des observateurs ennemis, et au tir des mitrailleuses qui nous saluent de quelques balles chaque fois que nous arrivons à cheval jusqu’à cette maison en ruines. C’est donc derrière la crête que nous sortons des boyaux. Nous montons sur nos chevaux qui nous attendent à cet endroit et nous rentrons par la route. Avec le crépuscule qui tombe, on sent se répandre une atmosphère d’intimité et de paix. Du B... me parle de ses projets, de tous ses rêves d’avenir dont il espère commencer bientôt la réalisation. Nous nous séparons en nous donnant rendez-vous au G... le lendemain à deux heures. C’est son dernier jour de faction. Il sera accompagné de son camarade d’E..., auquel il passera la consigne et qui le remplacera les jours suivans.

11 janvier. — Au moment où j’arrive au pont du G..., je rencontre d’E... tout ému. En passant dans une tranchée,