Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/655

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Du B... vient de tomber à côté de lui, la carotide tranchée par une balle. Le pauvre garçon repose ici, dans un abri, en attendant que, ce soir, les brancardiers puissent venir le chercher...

12 janvier. — Une froide et brumeuse matinée d’hiver. Des groupes d’officiers se réunissent dans la cour du château d’H... pour suivre l’enterrement du pauvre Du B... Silence. Saints discrets... Le deuil est conduit par le colonel du …e d’artillerie. Nous pénétrons avec le curé dans le petit vestibule où se trouve la modeste bière hâtivement confectionnée. Après la levée du corps, le cortège se forme, encadré par le peloton qui rend les derniers honneurs sous le commandement du sous-lieutenant d’E..., camarade du défunt.

On arrive à l’église, éprouvée par un récent bombardement. Vitraux détruits, débris sur le sol. L’office se déroule avec une émouvante simplicité. Mais au moment où il s’achève, s’élève comme un suprême adieu l’air de Patrie, de Paladilhe, chanté par un ténor de l’Opéra, artilleur au ….e : « Parmi les plus vaillans — et les plus triomphans — tu revivras — ô toi qui nous donnes ta vie. » Sous la puissance de la phrase musicale qui s’élargit sans cesse, emplissant le vaisseau de la vieille voûte romane, toutes les têtes grises ou blondes se sont courbées, et un grand frisson parcourt l’assistance. Le mystère sacré de la communion des âmes s’accomplit, et tous les yeux, tournés vers l’intérieur, contemplent un instant la loi suprême en vertu de laquelle la véritable vie ne se réalise que par le sacrifice.


18 février 1915. — Peu à peu, le bombardement détruit autour de nous tout ce qui donnait à ces lieux une figure humaine. L’autre jour, en entrant dans la ferme du G..., je n’ai pu me défendre de quelque mélancolie. Le matin même, elle avait servi de cible aux gros obus ennemis. Les artilleurs n’avaient éprouvé aucune perte, ayant eu le temps de se réfugier dans la cave. Mais il ne restait rien de cet intérieur dont j’aimais à respirer le charme pénétrant. Seuls quelques pans de mur et un amas de décombres marquent maintenant l’emplacement de la bibliothèque de livres de droit que la guerre avait si longtemps épargnée.