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le rez-de-chaussée et fait écrouler l’étage où j’étais. Mais peut-être ce résultat sera-t-il obtenu par le prochain obus, si les artilleurs ennemis continuent méthodiquement leur « fauchage. » Il est temps de descendre dans la cave, suivant les dispositions qui ont été prévues en cas de bombardement.

Le principal avantage de la maison qu’occupe le colonel, c’est précisément de disposer de plusieurs caves. La première, située sous un bâtiment des communs, est un magnifique cellier champenois, dont les soupiraux laissent entrer un faible jour, grâce auquel on distingue les énormes fûts couchés en ligne le long du mur. Mais le premier obus percerait ces belles voûtes en berceau. Il faut donc traverser cette cave, descendre encore plusieurs marches, suivre en se courbant un long et étroit tunnel, pour arriver dans une autre cave, où règne une obscurité complète. On allume des bougies. Cette cave, aussi longue que la première, quoique beaucoup plus basse, va servir de dortoir aux secrétaires, cyclistes et téléphonistes, les appareils téléphoniques devant être installés dans une des extrémités. Plus loin se trouve enfin un dernier réduit, dans lequel les officiers pourront dormir, manger et écrire. Là vient s’installer avec nous le général G... commandant de la brigade de réserve qui, hier, nous a rejoints pour appuyer notre attaque. On apporte une table, de la vaisselle, les dossiers que nous allons étudier à la lueur d’une lampe, et les fauteuils dans lesquels nous devons passer la nuit. Je regarde avec mélancolie les moellons humides de notre casemate. Maintenant que la maison est inhabitable, nous sommes définitivement installés dans ce sous-sol. Combien de mois allons-nous y passer, condamnés à traverser ces trois caves pour retrouver l’air et la lumière du jour ? Je serais tenté d’écrire sur ce mur : « Vous qui descendez ici, laissez toute espérance... »


II

22 juin 1915. — Depuis plus d’un mois la bataille de l’Artois fait rage. Précipitamment appelés de Champagne au lendemain de l’offensive victorieuse par laquelle l’armée d’Arras avait emporté la Targette et la moitié de Neuville-Saint-Vaast, nous avons jusqu’ici été tenus en réserve et promenés tout le long de la ligne de feu. Nos reconnaissances préparatoires nous