Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/658

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont conduits successivement à Wailly, d’où nous avons contemplé pour la première fois l’émouvante silhouette de la cathédrale d’Arras, mutilée par les obus, à Carency, où nous avons vu ces fameux abris d’officiers allemands, si somptueux en comparaison des nôtres, à Notre-Dame-de-Lorette où, de l’éperon de la Blanche-Voie, nous avons découvert Souchez à travers les arbres du château de Carleul. Sur tous ces points, notre attente a été déçue et nous n’avons pas encore été engagés. Enfin, depuis deux jours nous sommes installés, au Nord de Souchez, dans le secteur du Bois Carré où nous avons relevé une brigade de chasseurs à pied exténuée par plusieurs mois de tranchées et de combats. Les jours précédens, les chasseurs avaient avancé d’un kilomètre environ, de sorte que sur cette zone nouvellement conquise, rien n’est encore organisé : aucun boyau de communication ne relie l’arrière à notre première ligne, et devant celle-ci nous n’avons pas encore le moindre fil de fer pour nous séparer de l’ennemi. Mais on ne pense guère aux organisations défensives, tant la hâte est grande de progresser encore, de tendre la main, au delà du fond de Buval, aux camarades qui descendent les pentes de Notre-Dame-de-Lorette, et de marcher sur Souchez, dont la fameuse « Halte du tramway » se trouve sur la route d’Arras à Béthune, à quelques centaines de mètres au delà du Bois Carré.

Dès ce soir, nous devons attaquer le fortin X... sur cette route, et, dans le poste de commandement, j’achève de copier l’ordre que je porterai au colonel du …e chargé de l’exécuter. Notre poste souterrain est des plus confortables : on descend par des marches dans un étroit et profond boyau tapissé de planches, sur lesquelles prennent jour quatre niches intérieurement soutenues par des plaques de blindage cintrées. Ces niches servent de dortoir, de poste téléphonique et de bureau. Elles sont à l’épreuve des gros obus, mais, quand ceux-ci éclatent à proximité, ils font vibrer désagréablement la carapace métallique dans laquelle nous vivons.

Ayant reçu les dernières instructions du colonel commandant la brigade, je me mets en roule. Je traverse le village d’A... N... qui ne compte plus guère de maisons épargnées par les obus allemands, et je monte sur le plateau. D’ici, vers le Nord, se déroule à mes yeux le riant tableau de la plaine de Lens. Au milieu des prés verts, les dessins géométriques des