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me charge, puisque je dois me rendre auprès du commandant B..., de lui porter un huitième exemplaire de l’ordre d’attaque.

Avant de partir, j’accepte l’invitation du colonel H... à partager son frugal repas. Nous descendons dans son abri, où, autour d’une table éclairée par une bougie, sont déjà installés le capitaine de la compagnie de mitrailleuses, le médecin-major, et l’officier d’approvisionnement. Au fond de l’abri un grand lit de paille pour une demi-douzaine de personnes. Quelle impression de confort !

Mais je ne tarde pas à m’arracher à ces délices pour me remettre en route. Le colonel me donne un exemplaire de l’ordre d’attaque qu’il a fait copier et m’accompagne jusqu’à l’observatoire voisin, d’où l’on embrasse toute la vallée. Notre artillerie lourde commence son tir de préparation sur le fortin ... objectif de l’attaque. L’artillerie allemande rend les coups avec usure, et l’air est rempli d’un grondement ininterrompu.

Je reviens à la Tranchée des Saules, et, au lieu de la traverser comme tout à l’heure, je la suis tout du long jusqu’au sommet de la crête. Là, au milieu d’un chaos de boyaux bouleversés, de rondins d’abris brisés, et de sacs à terre éventrés, se dresse, seul resté debout, le tronc d’un de ces saules dont la tranchée a pris le nom. N’ayant plus ni branches, ni écorce, il apparaît au-dessus de la plaine comme une lamentable épave. Un peu plus loin j’arrive sur la lèvre d’un énorme cratère, formé par l’explosion d’un de nos fourneaux de mine au moment où nous attaquions la première ligne allemande. Plusieurs tonnes d’explosifs ont creusé un véritable cirque où des abris, des dépôts de munitions, et des postes de commandement ont été aménagés par les compagnies qui sont là en réserve. Immobiles et silencieux, nos soldats s’étagent sur les parois comme sur les gradins d’un immense amphithéâtre. Dans la nuit tombante, au milieu du fracas des décharges d’artillerie qui se répondent de tous les points de l’horizon, je crois voir une assemblée -de spectres réunis pour assister aux dernières convulsions du monde.

Bientôt le boyau s’arrête et on marche dans la plaine, en suivant une piste tracée par les convois de vivres et de munitions qui passent ici toutes les nuits. Maintenant l’obscurité serait complète si, prévenus par notre préparation d’artillerie de l’imminence d’une attaque, les Allemands ne faisaient