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Tranchée des Saules, où attendent deux compagnies de réserve. Le jour se lève, un jour humide et glacial, dans lequel les visages fatigués des hommes apparaissent livides.

………………….

Le soir tombe. Le deuxième bataillon est relevé par le troisième, qui va recommencer l’assaut. Une effroyable averse a transformé tous les boyaux en marécages. Je remonte péniblement la Tranchée des Saules, pataugeant dans la boue jusqu’aux genoux et m’efforçant de ne pas glisser encore dans un abri plein d’eau, comme il m’est arrivé tout à l’heure. Je rencontre le médecin-major du deuxième bataillon. Il vient du Chemin Creux où je retourne pour la nouvelle attaque.

— M... est-il encore là-bas ? lui dis-je.

— Mort, répond-il. Je l’ai vu étendu, les bras en croix, près de la barricade. Il a reçu un éclat d’obus dans la tête en essayant d’aller ramasser un blessé.

L’abbé M... est mort. Pour un instant, j’échappe aux tristes réalités qui nous entourent : ce bombardement incessant, ces cadavres étendus dans la boue, ces soldats en file indienne, courbant le dos sous la pluie, qui vont à l’attaque où tomberont encore des centaines d’hommes. Je pense à la sublime abnégation de l’humble brancardier. J’entends toujours cette voix grave, intérieure, et je revois ce visage, transfiguré par la bonté, se détachant sur le nimbe dont l’entouraient les premières lueurs de l’aube...


JEAN SONGY.