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LA GUERRE AUX CHAMPS

UNE COLONIE DE RÉFUGIÉS

J’habite un pittoresque bourg du Nontronnais, dans un magnifique pays de bois et de collines, mais à quinze kilomètres de toute gare. Un petit tramway local y fait une halte, mais l’unique train d’aller et de retour ne permet pas, sur tout un sens de la ligne, de se rendre d’une station à l’autre et d’en revenir le même jour. On ne voit donc pas beaucoup d’endroits plus perdus, ni plus éloignés de la guerre, et l’on n’imagine pas, cependant, combien elle y a tout changé.

Dès le début, d’abord, le crieur de la commune battait chaque matin le tambour pour réunir les habitans sous le vieil orme du Champ de foire, et leur y lire le journal. Puis, à la longue, cette lecture fatiguait, les choses duraient trop, les gens ne se dérangeaient plus, le mauvais temps venait, les feuilles de l’ormeau tombaient, et l’on cessait de lire les nouvelles. Mais tout n’en continuait pas moins à rappeler la guerre. La plupart des hommes valides étaient partis, et l’on n’apercevait plus, sur les coteaux, piquant les bœufs ou poussant la charrue, que des vieillards, des femmes et des fillettes. A de certaines heures, comme les autres années, des chœurs de voix d’enfans arrivaient de l’école, mais on y reconnaissait la Marseillaise, qu’on faisait chanter en classe aux petites filles et aux petits garçons. Le tambour ne convoquait plus les habitans pour la lecture du journal, mais conduisait les gamins qui marchaient