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portes, les bancs, les chaises, l’armoire, la commode, les tiroirs, la garde-robe, et volé tout ce qui n’avait pas été caché… ; Ah ! monsieur, nous en avons pleuré ! Nous n’avions plus rien, et mon mari voulait encore retourner, mais on a donné l’ordre de nous faire évacuer Hazebrouck, et de nous embarquer tous pour le Midi… Alors, un train nous a d’abord emmenés à Calais, et de là à Rouen, puis à Tours. Pendant deux jours et deux nuits, nous n’avons pas quitté le chemin de fer. Nous mangions et nous couchions dans les wagons… Nous ne pouvions même pas en sortir… Et, maintenant, nous voilà ici…

Elle s’arrêtait encore et ne pouvait plus parler, de nouveau toute remuée par ses souvenirs, posait ses aiguilles, et essuyait ses yeux, pendant qu’on entendait toujours clouer et raboter dans l’atelier, et qu’on voyait, au-dessous de nous, à l’autre bout du Champ de foire, s’étendre l’ombre du vieil orme sous lequel, l’été précédent, le crieur lisait les nouvelles…


Logé quelques maisons plus bas, un mineur du Pas-de-Calais, qui se loue dans le village, tantôt pour un travail, tantôt pour un autre, me raconte l’effroyable sauve-qui-peut des populations de sa contrée.

Il habitait La…, dans une de ces cités ouvrières si nombreuses en ces régions. Un jour, les Allemands envahissaient le pays, entraient dans la cité, y prenaient les matelas et les meubles des locataires, en faisaient de grands tas dans la rue, y mettaient le feu, et les détails de la fuite de tout ce troupeau humain se sauvant de ce village en flammes, le long du canal de l’Yser, vous donnent le frisson. Les malheureux avaient cru pouvoir prendre la grande route, mais la trouvaient barrée par nos propres troupes, en train d’y opérer leur retraite, et s’y heurtaient partout aux baïonnettes des factionnaires, qui leur faisaient rebrousser chemin, en leur criant : « On ne passe pas ! » Alors, tout affolés, ils se jetaient dans les terres labourées, où beaucoup ne pouvaient plus marcher. Il y avait des infirmes qui renonçaient à avancer, des familles qui se perdaient sans pouvoir se retrouver. Une femme, devenue folle, se précipitait dans le canal avec ses quatre enfans. D’autres, qui étaient grosses, accouchaient contre les meules, et mouraient près de leurs enfans morts. Partis sans rien, courant depuis des heures,