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reçu dans le côté un coup de baïonnette. C’est un blond fade, à figure peu avenante. Sans doute son esprit reste hanté de l’horrifique vision, car son sommeil est coupé de cauchemars et, tout à l’heure, il m’a semblé lui voir lever une main dans l’ombre...


Notre veillée s’avance ; la petite Katia s’agite dans son lit..., Le pope, que l’infirmier est allé quérir, vient de passer, en étole, portant sur sa poitrine le viatique des mourans... La lueur du jour filtre à travers les vitres givrées et ternit la flamme vacillante des bougies... Une bande rose paraît à l’horizon et dore la plaine blanche, car, dans ces régions, la neige alterne avec le soleil. Nos blessés se soulèvent un à un et regardent : le réveil est proche. Seul, le soldat Illia s’est enfin assoupi. Il est temps d’entreprendre notre dernière tournée. Comme nous nous y préparons, un coup de canon éclate, puis un autre, un autre encore : ce sont les Allemands qui saluent à leur manière le lever du soleil... Les yeux de Nathalie Dimitrievna ont rencontré les miens. Nous sommes un peu pâles, mais ce n’est ni de fatigue ni de peur. Seulement, une même pensée vient d’endeuiller notre âme : ce canon qui recommence à tonner là-bas, ce sont de nouvelles blessures à panser, de nouvelles douleurs à consoler ce soir !


MARYLIE MARKOVITCH.