Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un moment après, il demanda des nouvelles du chef de son état-major.

— Je l’ai sabré ! dit un prapeurtchik :

Et il tira son sabre ensanglanté.

Von Tabernis regarda sans une parole l’officier, le sabre, et baissa la tête.

Tout le monde resta silencieux.


Maintenant, ces hommes intrépides dorment, tranquilles comme des enfans. L’un a les mains croisées sur la poitrine, un autre a replié son bras sous sa tête, en un geste de mol abandon. Le jour, ils sont, avec nous, d’une timidité charmante. L’un de ces partisans, légèrement blessé, ayant appris que j’écrivais dans les « gazettes, » est venu dans la journée se promener devant la porte ouverte de mon coupé, cherchant à attirer mon attention. Assise devant ma petite table à écrire, le dos tourné, je ne m’apercevais pas de son manège. A la fin, j’entends un appel à voix basse : « Sistritza ! » Je me retourne et me trouve en face d’un garçon de vingt-deux ans, très gêné du succès de sa tentative.

Je me hâtai de venir à son aide. Encouragé, il entre, accepte le siège que je lui offre. Puis il me propose de me raconter son histoire, afin qu’à mon tour je la raconte aux soldats de France.

— Ce que tu ne comprendras pas, je l’écrirai, sistritza !

Aussitôt je lui ai tendu mon bloc-notes, mon crayon. D’une main habituée au lourd maniement de la pique, il a pris le petit bâtonnet léger comme une tige de roseau. Avec quel plaisir je contemplais son embarras, sa mine attentive, son application d’écolier ! A chaque ligne, péniblement tracée, il se reculait un peu pour se relire et juger de l’ensemble !... Son effort scriptural a été court : à la fin de la page, il n’a pas jugé à propos de tourner la feuille, et il a respiré à pleins poumons après avoir tracé la dernière lettre de ce nom romantique : « Dimitri Krivorogoff (Dimitri Corne-Recourbée) ! » Mais la conversation qui a suivi, et pour laquelle il cherchait à dessein les mots les plus simples de son vocabulaire, s’est prolongée jusqu’au diner. C’est de lui que je tiens la plupart des détails de cet épisode dramatique digne d’une épopée.

L’Allemand prisonnier occupe le dernier lit du wagon. Il a