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cri d’effroi, puis elle m’explique, toute troublée, qu’elle ne peut plus rien entendre tomber par terre sans croire encore à une bombe, et en être toute bouleversée.

— C’est vrai, dit le vieux Théodore... Madame, maintenant, se trouve toujours mal à tous les bruits auxquels elle ne s’attend pas... Et moi, je le dis bien franchement, je n’aime pas beaucoup non plus entendre tomber quelque chose trop fort. Je me figure toujours aussi que c’est un obus... Voyez-vous, monsieur, nous en avons trop reçu... Seulement, après celui qui avait tué tout ce monde dans la cave en face de la nôtre, nous n’avons plus voulu rester. Personne n’y avait plus le cœur, et nous sommes tous allés à la mairie réclamer nos billets d’évacuation.

Des voix d’enfans descendant la rue passaient à ce moment devant la maison, et une fillette blonde, une petite croix au cou et un cahier sous le bras, entrait dans la cuisine.

— Voilà ma plus. petite, me dit alors la mère en achevant de se remettre, elle revient de l’école... La nuit, dans les caves de M. M..., on la couchait dans un caveau, et ça l’amusait beaucoup, mais le bombardement lui faisait aussi bien peur... Et ma seconde avait peut-être encore plus peur qu’elle... N’est-ce pas, Adèle ?

— Ma foi, oui, répond Adèle, j’avais très peur.

— Et Théodore tremblait bien aussi un peu.

— En effet, avoue ingénument le vieux tisseur, je ne me sentais pas toujours à mon aise.

— Et moi, ajoute la veuve, j’avais plus peur que tout le monde... Il n’y avait de brave que l’aînée... Aussi, c’était toujours elle qui allait nous chercher nos portions... Les bombes, à elle, ne lui faisaient rien... N’est-ce pas, Madeleine ?

— Ma foi, non, répondait Madeleine...

Et ils n’avaient pas l’air trop malheureux... Ils sont tranquilles, bien logés, loin des bombes, et chacun reçoit son allocation. Le vieux Théodore fait des journées, les jeunes filles en font aussi, la fillette va à l’école, et ils ne se plaignent que de manquer de bois. Mais il n’y a plus de bras pour en faire, il est hors de prix, et les pauvres gens, qui n’ont pas tout de même oublié leur pays, doivent se contenter des branches mortes qu’on leur permet de ramasser.