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de traiter les plus hautes questions de la pensée et de l’activité humaine, florirait aujourd’hui mieux que jamais. Soudain, les littérateurs se sont rappelé que la littérature est un art et, autant dire, un amusement de l’esprit.

Ce vif sentiment qu’ils ont eu, s’il dure après la guerre, suffira probablement à corriger quelques erreurs, à éclairer diverses doctrines un peu confuses et à distinguer plusieurs choses qui s’embrouillaient. D’ailleurs, je ne prétends pas que la littérature soit condamnée à la frivolité ; mais une certaine frivolité lui convient, ne fût-ce qu’afin de rester un art et aussi pour ne perdre pas toute modestie. En ne cherchant pas trop à servir, elle risque moins d’être périlleuse. Anodine, elle a plus de liberté. Quant à deviner les destinées prochaines du roman, qui s’y hasarderait ? Parmi les genres littéraires, il n’en est pas de plus souple, variable et, pour ainsi parler, de plus sensible. Nul ne se modifie plus promptement, selon les modes quelquefois, le cours des événemens et les caprices de l’idéologie. Il n’obéit presque pas à des règles. Voici plus d’un siècle, qu’avec une docile exactitude il reflète les goûts furtifs, les passions, les velléités sages ou folles de ce pays. Quoi qu’il en soit des hypothèses qu’on a formulées sur les lendemains de la guerre, une nouvelle France va naître, dont il est malaisé de prévoir et le bonheur et les travaux : cette nouvelle France aura ses peintres attentifs. Les énergies que le premier Empire avait suscitées, et qu’il occupa et qu’il laissa ensuite sans besogne, multiplièrent leur fécondité, produisirent un monde nouveau et Balzac, le romancier de ce monde nouveau. La formidable commotion de la présente guerre se propagera ; tout aura subi le branle : ni l’équilibre ne s’établira vite, ni le calme ne se fera sans peine. Ensuite, le calme, s’il advient, — ou, sinon le calme, cette moindre fureur qui est l’aubaine de quelques années dans l’histoire, — révélera le changement des âmes et de tous leurs dehors. Cette aventure méritera son Balzac ; et l’aura-t-elle ?


Les quelques romans qui ont paru depuis le début de la guerre portent la marque de l’angoisse. L’un des plus beaux, — je n’ai point à le signaler aux lecteurs de la Revue, — Le Sens de la Mort, est une méditation poignante sur le thème que ces terribles jours imposent continuellement à notre pensée. Une méditation : mais aussi le héros de M. Paul Bourget ne sépare pas de la réalité sa doctrine ; il prétend la tirer de la réalité même et de l’expérience. Il est un homme de science, un médecin : mais (dit-il) en médecine, les théories les mieux