Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/689

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE LITTÉRAIRE

LE ROMAN ET LA GUERRE [1]

Il n’a guère paru de romans depuis vingt mois. Les temps seraient plus favorables à l’épopée. Sortira-t-il une épopée de ces temps épiques ? Nous en avons le présage et les élémens peut-être, dans ces récits de combattans, déjà si nombreux, quelques-uns très beaux et qui tous contiennent plus que des parcelles de sublime. Nos romanciers ont redouté de n’imaginer rien qui valût cette réalité simple et prodigieuse. Puis il n’était pas facile, même pendant les longs répits de l’offensive, d’écarter l’unique souci et de se réfugier, de s’enfermer dans de plaisantes fictions. Enfin, je crois que beaucoup d’écrivains, et non les pires, ont éprouvé une sorte de scrupule à continuer, durant la tribulation de la France, le jeu des idées et des mots. Inutile abnégation, si l’on veut ; mais gracieuse : et puissent un jour les littérateurs ne pas oublier qu’au moment où l’on refusait tout plaisir, c’est pour ses délices qu’ils ont refusé la littérature ! Ces dernières années, avant la guerre et dans le grand désordre, n’allait-on point à fausser la notion même de la littérature ? On l’avait chargée d’un rôle qu’elle sait jouer, et pourtant qui n’est pas le sien : d’un rôle social, et philosophique, et politique. On l’en avait chargée, on l’en avait accablée. Si la littérature était un métier si grave et n’était pas, — au gré de Racine et de son époque, la plus belle entre toutes, — un divertissement, le scrupule que j’indiquais n’aurait pas eu sa raison d’être. Le roman, s’il avait le devoir, — il en a la possibilité certainement, —

  1. Le Sens de la Mort, par M. Paul Bourget (Plon). — La Veillée des armes, par Mme Marcelle Tinayre (Calmann-Lévy). — Gaspard, par M. René Benjamin (Fayard). — Récits du temps de la guerre, par M. René Bazin (Calmann-Lévy), — L’Adjudant Benoît, par M. Marcel Prévost (Lemerre).