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longtemps, étaient un peu les complices des âmes et, s’ils ne favorisaient pas leur péché, pourtant ils l’examinaient à loisir, avec plus d’intérêt que de sévérité. Au bout de leur analyse, on ne distinguait plus très exactement le bien et le mal. Mais voici qu’une vive lumière se jette sur ces demi-teintes, éclaire la pénombre dangereuse et dissipe les nuées troubles ; il fait jour.

Ce Benoît, c’est le fils d’un agriculteur du Gers, homme assez riche et qui n’a pas lésiné pour que son fils eût de l’instruction. A dix- huit ans, pourvu de ses diplômes, Benoît put aller en Saxe étudier les procédés nouveaux de l’agriculture. Ensuite, artilleur dans l’Est, brigadier ses deux ans finis, il a rengagé. Bref, à la guerre, il est maréchal des logis dans une batterie cantonnée au fort de Cissey. Avec un brigadier, trois canonniers et un cycliste, on le charge d’installer et de mettre en service, à quelque distance de là, au château d’Uffigny, un poste de radiotélégraphie. Le château d’Uffigny, bâtisse Empire, et le domaine assez vaste, appartient à un baron Somski, banquier de Lodz, un personnage de qui l’on ne sait rien, sinon qu’il arrive à l’automne, amène tout un équipage de chasse, donne des fêtes magnifiques, traite généreusement le pays et part avant les froids. Au début de la guerre, il n’est pas là ; et le domaine d’Uffigny n’est habité que par le garde, Joseph Archer, dit Joze, sa fille Gertrude et un petit domestique alsacien, Rimsbach, un infirme, dit le Manchot. Le vieux Joze va et vient, parcourt les bois et les prés : on ne le voit guère qu’à l’heure des repas, et il raconte alors ses souvenirs de l’autre guerre. Le dimanche 2 août, réquisition des chevaux, à Uffigny ; et les bêtes sont amenées sur la place, chevaux de labour et de roulage, bidets de ferme, haridelles de marchands ambulans, quelques bêtes de luxe. On attend la commission militaire : et ce sont douze cavaliers gris pâle qui débouchent, la lance à la botte, le revolver au poing. Cette patrouille de uhlans réclame les chevaux. Mêlée : un lad et un cocher roulent dans l’herbe, un uhlan choit de sa monture. Le petit poste que Benoît commande accourt ; et les uhlans sont, les uns tués, les autres mis en fuite. Mais Benoît ne s’en tire qu’avec une blessure à la jambe. On le porte au plus près, dans le pavillon de Joze, où Gertrude le soignera... Si vous vous étonnez qu’un sous-officier de l’active, blessé, demeure chez des civils et ne soit pas transféré dans un hôpital militaire, M. Marcel Prévost vous invite à ne pas oublier que nous sommes au 2 août, que la guerre n’est pas officiellement déclarée, qu’on mobilise les combaltans et que la régularité des services n’est pas tout organisée.