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Cette parenthèse, afin que l’exactitude soit parfaite et la vérité conforme à la vraisemblance.

Gertrude, une fille fraîche, douce et bonne. Et au surplus, nous ne connaîtrons pas Gertrude en menu détail : Benoit, quand il parle d’elle, va vite et, par une sorte de pudeur effarouchée, n’ose pas dire et ne dit peut-être pas à lui-même pourquoi il aima Gertrude. Mais il l’aima. Ils passèrent des heures à rêver ensemble, à regarder le soleil et l’ombre par la fenêtre, et puis dehors, quand Benoît put se lever et, devant le pavillon de Joze, goûter la joie quiète d’aller mieux, de revivre, de se guérir et de se sentir jeune. Comment Benoît fut amoureux de Gertrude et, sans le lui déclarer, la contraignit à le savoir, comment Gertrude l’aima de pur amour, ce n’est pas Benoît qui l’eût raconté ; M. Marcel Prévost nous engage à n’éprouver aucune surprise, à ne pas méjuger l’efficace de la jeunesse et de la convalescence. Mais ils n’étaient pas des amans.

Benoît déteste le Manchot, qui lui fait des mines railleuses, et qui a des allures inquiétantes : à la nuit tombante, le Manchot grimpe l’escalier du château, parcourt les salons, les chambres, allume de place en place l’électricité, l’éteint, s’esquive, passe le plus souvent la nuit dehors. Où va-t-il ? Et, s’il avoue ses bonnes fortunes de polisson par la campagne, qui sait ? Benoît soupçonne le gaillard d’être un espion : n’est-ce pas lui qui, ce dimanche de la réquisition des chevaux, avait appelé les uhlans ? ses manigances d’électricité, dans le château, ne sont-elles pas des signaux ? ses courses nocturnes, des trahisons ?... Un jour, un lieutenant vient, à Uffigny, du fort ; et le vieux Joze le prie à déjeuner, sans façon. Le vieux Joze, entre la daube et le fromage, déroule ses souvenirs de soldat ; le jeune lieutenant, ses espérances. Le jeune lieutenant décrit fort bien les travaux qu’on achève à Cissey, la mise en état du camp retranché, la solide qualité de la défense. Il ne se méfie de personne. Benoît se méfie du Manchot ; Gertrude a beau lui dire : « Il est trop bête ! » A la nuit, quand le Manchot disparaît, Benoît résout d’en avoir le cœur net. Par les chemins de la forêt, par les taillis, il se faufile et bientôt se croit sur la piste du sacripant. Il se cache dans les fourrés ; il aperçoit deux hommes, les entend, deux Allemands, et qui attendent l’espion. L’espion, ce n’est pas le Manchot, mais Joze. Joze, vieux combattant de l’autre guerre ? Parbleu ! 3e lanciers du grand-duché de Bade : et il est Badois et le traître faisait, en Lorraine française et naïve, son métier de Boche. Les deux partis, et munis déjà de quelques renseignemens que leur apportait Joze, — mais Joze leur en a promis bien