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Chambre des députés de Rome a eu vers M. Salandra. Sa session a été, bien que bruyante, aussi vide que brève, assombrie et comme gênée par la démission de M. de Tirpitz. Une façon de conflit sourd, au moins une amorce de conflit avec le Landtag prussien, lui avaitfait une mauvaise préparation. Le Landtag prétendait avoir son mot à dire sur la direction des affaires extérieures ; le chancelier lui en déniait le droit, au mépris évident de la constitution de l’Empire, qui n’est qu’un Etat fédératif, une confédération resserrée, où chacun des États particuliers conserve sa personnalité et les attributions de la puissance, l’État général et commun n’en recevant que ce qui lui en est délégué, sans que celles des autres soient abolies, sans qu’il y ait aucune raison pour que la Prusse, dans tous les cas, en tant que Prusse, ait perdu ce que la Bavière ou la Saxe, en tant que telles, ont gardé. D’où du mécontentement, du froid, une bouderie que la retraite du grand amiral a fait aigrir.

Une autre démission a été donnée cette quinzaine ; celle du général Galliéni, ministre de la Guerre, en France : quelque soin que les Allemands aient pris de la dramatiser, à coups de radiotélégrammes, elle ne se justifiait que trop manifestement par la maladie, la preuve en, est faite par les regrets et les vœux unanimes qui ont accompagné et qui suivent l’un des vainqueurs de la Marne. Ce ne fut qu’un incident, mais la démission de M. de Tirpitz est un événement, dont on ne peut encore fixer les proportions ni les conséquences. Puisque l’Allemagne veut qu’il y ait du mystère, c’est chez elle qu’il y en a. Pour nous, et sans doute pour elle, les causes de cet événement demeurent impénétrables.

Sur un point, nulle contestation : le grand amiral de Tirpitz a bien été le créateur, l’organisateur de la flotte allemande : c’est bien lui qui l’a conçue, et qui l’a construite ; il a bien été, pendant la paix, le théoricien et, dans la guerre, le praticien du sous-marin et de la torpille : praticien par la main d’autrui, car, si la cruauté des temps n’avait pas proscrit le sourire, on pourrait dire de M. de Tirpitz qu’il devait être l’homme du petit navire, n’ayant jamais ou presque jamais navigué. Assis depuis dix-neuf ans à sa table, devant ses plans et derrière ses cartons, ce géant aux yeux bleus et doux, à la barbe de Charlemagne d’où s’échappe une voix fluette, s’est exalté dans la solitude du bureau, en sa recherche de l’absolu. La haine de l’Angleterre, fouettée d’envie, comme une rivalité d’amour, parce qu’il adore son métier, Ta rendu féroce. Il est devenu une sorte de Clausewitz ou de Bernhardi de la mer, rêvant toujours de reprendre d’un cœur plus